La Vie Parisienne moderne et surprenante à Massy, par Jérôme Savary
La Vie Parisienne (dans cette production de Metz) est proposée ici dans sa version en cinq actes et dans l'adaptation devenue culte de Jérôme Savary. Reprise par son ancienne collaboratrice Frédérique Lombart elle constitue ainsi un hommage au metteur en scène décédé en 2013.
Les éléments visuels forts, imaginés par le décorateur Michel Lebois, reconstruisent un Paris symbolique qui fait évoluer les personnages autour des lieux incontournables de la capitale française au temps de l’exposition universelle. Dans ce décor historique interviennent des références culturelles parmi les plus déroutantes allant de Chopin et le motif de sa marche funèbre à l’évocation de Jeanne Moreau en passant par Stromae ou Marilyn Monroe dans des anecdotes souvent accompagnées par l’orchestre (les citations musicales dialoguant avec Offenbach). Les codes de la fête sont réunis, du simple bruitage à des effets pyrotechniques plus conséquents. Les costumes imaginés par Michel Dussarat suivent cette mise en scène en apportant un foisonnement de plumes froufrous et de couleurs écarlates. La maîtrise d’un french cancan virtuose et exaltant est assurée par la chorégraphie époustouflante de Nadège Maruta, spécialiste des danses de cabarets du 19ème siècle et exécutée par le Ballet de l'Opéra-Théâtre Metz-Métropole.
Derrière l’ostentation volontaire de cette adaptation, véritable feu d’artifice offert au spectateur, la désillusion subtile qui s’empare des personnages est éclairée par une direction d’orchestre fine de Claude Schnitzler, spécialiste du répertoire d’Offenbach et qui souligne avec la phalange instrumentale de Massy les accents mozartiens tout en maintenant une énergie joyeuse tout au long de l’opérette. Le Chœur de l’Opéra de Metz dirigé par Nathalie Marmeuse témoigne d’une précision et d’une homogénéité régulière.
Le jeu des chanteurs exige ici un sens aigu de la comédie que le personnage de Gardefeu confirme dès les premières minutes de la représentation. L’interprétation du ténor Carl Ghazarossian rejoint un bref instant par le bégayant Gontran (incarné solidement par le ténor Éric Mathurin qui devient ensuite Joseph puis Trébuchet) dévoile un timbre clair et une diction pleinement intelligible. Un élégant legato dans l’épanchement de l’amoureux blessé se trouve renforcé par les éclairages de Patrice Willaume isolant pour un bref confessionnal Gardefeu, décidé désormais à séduire une femme du monde. Dans le rôle de son acolyte Bobinet, le jeune ténor Rémy Mathieu apporte un contraste évident dans un vibrato plus prononcé, le velouté du timbre et des graves appuyés renforçant ainsi la complémentarité des deux personnages. Si sa gestuelle et son jeu d’acteur restent plus timides que celle du spectaculaire Gardefeu, les capacités vocales et l’aisance du ténor sont manifestes sur scène.
La sensuelle Metella est jouée avec finesse par la soprano Irina Stopina dans une interprétation du personnage qui laisse entrevoir au public à la fois la séduction d’une demie mondaine qui excelle dans l’art de manipuler les hommes et une certaine mélancolie soutenue par les cordes. L’élégance du phrasé, l’articulation précise et une maîtrise des graves aussi bien dans les registres chantés que parlés sont renforcés par une conviction crédible. La jeune soprano Capucine Daumas interprétant la gantière Gabrielle dévoile une voix charmante, pleine de fraîcheur et une aisance scénique s’équilibrant à celle du personnage de l’amoureux Frick. Le bottier est interprété par le ténor franco-américain Scott Emerson qui brille surtout dans son interprétation du brésilien multipliant les détonations armé d’un pistolet étincelant (l’assurant d’une prestance scénique déjà confirmée par une projection vocale énergique et une diction impeccable). Mme de Quimper-Karadec est incarnée avec justesse par la mezzo-soprano Marie-Émeraude Alcime qui déroule ici une autorité vocale et une puissance convenant à son personnage moralisateur. Nina Savary, habituée des productions de Jérôme Savary (il la mettait déjà en scène à La Scala de Milan alors qu'elle avait trois ans) est ici une Pauline amusante à la diction exagérée et au timbre nasal qui renforce l’aspect comique de ses interventions sans nuire à la qualité de sa prestation vocale.
Le Baron de Gondremarck est interprété par l’ex-pensionnaire de la comédie française Laurent Montel qui présente un noble haut en couleur à l’accent plutôt allemand et dont l’enthousiasme et la drôlerie se communiquent au public. Ses parties chantées démontrent la forte projection vocale d’un baryton au phrasé maîtrisé et à la diction claire. La soprano Sylvie Bichebois présente quant à elle une Baronne de Gondremarck un peu sur la réserve et parfois une faiblesse dans la projection sonore ainsi qu’une articulation par moment troublée. Le chanteur Frédéric Longbois s’affirme comme la révélation acclamée de ce spectacle. L’ancien candidat du concours télévisé The Voice incarne successivement Prosper et Alphonse (mais aussi des rôles de figurations remarqués du public) dans une prestation vocale puissante, très à l’aise dans la projection aussi bien dans les parties chantées que parlées, faisant preuve d’une diction toujours compréhensible et qui déclenche les rires à chacune de ses apparitions. L’amusant Maître d’hôtel est joué par le chanteur Hervé Mathieu dont l’autorité naturelle compense une justesse fragile. Enfin, les personnages du général péruvien et d'Urbain sont interprétés par Jean-Marc Guerrero, partition réduite mais dont l’intervention vocale est efficace par un jeu d’exagération de la prononciation et une ligne mélodique souple.
Le public quitte la salle dans une atmosphère festive, conquis par les effets de surprises et le dynamisme constant de la mise en scène.