Les Petites Noces (de Figaro), opéra participatif à Rouen
Si Tistou les pouces verts proposé il y a trois ans (qui marquait déjà la septième saison participative rouennaise) est une œuvre composée pour faire chanter le public, les trois dernières productions de ce projet pédagogique sont des adaptations, d'après des chefs-d'œuvre du répertoire. Après Le Barbier de Séville (Rossini) et Carmen de Bizet, ce sont cette année Les Noces de Figaro (Mozart) que chantent et qui enchantent petits et grands.
Pour ce faire, le texte est comme toujours dans une version entièrement traduite en français (airs et récitatifs), exercice fort délicat tant sont indissociables la plume de da Ponte et la musique de Mozart, mais l'adaptation du metteur en scène Gilles Rico parvient à rendre le sens du propos tout en respectant le rythme et les accents des phrases. Avec une petite touche de modernisation (dans le texte mais aussi entre deux gestes de air guitare, avant que le Comte ne vienne armé d'une hache à incendie pour forcer le boudoir de sa femme). Ici, c'est Chérubin (Cherubino en version italienne) des temps modernes qui est le héros de l'histoire : il visite un musée dans lequel les personnages classiques de Beaumarchais sont des statues qui vont s'animer (entre la post-modernité des Fantômes de Versailles et le film Hollywoodien, La Nuit au musée). Chérubin entre sur scène avec sa trottinette, en blouson de cuir et chaussures rouges, prend des selfies avec les personnages en tenues classiques et leur fait découvrir la nouvelle technologie. Ils en sont aussi stupéfaits que le public est hilare devant ces chocs des époques (d'autant que ces piments modernes viennent aussi agrémenter le livret, ainsi lorsqu'on fait sonner une clochette pour appeler la servante, c'est en fait le téléphone de Chérubin qui retentit).
Chérubin renforce ainsi la dimension participative du spectacle puisque le jeune public peut s'identifier à ce garçon d'aujourd'hui qui redécouvre un patrimoine passé. Patrimoine artistique (les panneaux du musée sont inspirés de tableaux français contemporains à l'histoire de Beaumarchais), patrimoine musical en chantant des airs des Noces. Ces interventions participatives invitant les spectateurs à chanter sont cependant rares et courtes mais certes réparties au fil du spectacle réduit à 1h15 pour maintenir l'attention du jeune public. Comme chaque année, les têtes blondes sont d'autant plus fascinées par le spectacle lorsque la salle est plongée dans le noir, qu'ils savent qu'elle va s'allumer pour les inviter à chanter. Ils ont remarquablement préparé leurs chansons (dans leur école ou via le site web de l'Opéra, et comme vous pouvez le faire en bas de cette page) et suivent comme de coutume la cheffe de chant illuminée devant la fosse, Jeanne Dambreville. Ses gestes sont toujours aussi amplement visibles que limpides et (fort bien) intentionnés. S'ajoute à cela un sourire radieux qui donne du chœur à l'ouvrage, petits et grands articulant ainsi de manière large et radieuse. Les chants participatifs croissent en rapidité et articulation, mais fort bien suivis par le public (les chanteuses sur scène pouvant même oser d'autres mélodies en contrepoint). Certains chants sont même accompagnés de quelques gestes, le public se lève notamment pour accompagner un grand crescendo final et restera debout pour acclamer le spectacle.
Le jeu des interprètes suit la dynamique et les intentions de la fosse et de la salle. Les mouvements et les chants sont bien rythmés et articulés (très précieux pour bien suivre l'histoire). Albane Carrère en Chérubin incarne pleinement l'adolescent de cette intrigue, avec un caractère piquant et une voix enfantine. L'aigu est un peu plafonné et le grave peu appuyé, mais le corps des phrasés vibre, homogène dans la vitalité. La candeur du personnage s'anime par la prosodie.
Figaro chanté par Kamil Ben Hsaïn Lachiri mêle la noblesse de la ligne et l'agilité du phrasé, se faisant ainsi le médiateur (large factotum) entre le Comte et la camériste. Sa voix est notamment ample lorsqu'elle soutient le public dans les passages participatifs, plus en retrait dans ses propres airs : s'il culmine en intensité dans l'aigu, le souffle est restreint.
Suzanne, Tamara Bounazou lyrique avec légèreté, s'anime d'accents allants, appuie les retards expressifs de ses phrases. La voix vibrionne notamment dans le récitatif intense. Elle surjoue les quiproquos, claquements de portes et amants cachés dans le boudoir en tirant le tout vers Feydeau, mais cette animation n'est pas pour déplaire au public (d'autant plus par contraste avec la dernière partie du spectacle, qui enchaîne des récitatifs en même temps qu'elle oublie le participatif et l'animation scénique).
Chloé Chaume est une Comtesse proche de sa camériste, par l'affirmation de sa légèreté lumineuse, avec une noblesse emportée d'accents. La voix du Comte vrombit, un peu distante et avec un léger accent hispanique, mais le phrasé de Gilen Goicoechea est animé. Acteur-chanteur, il exprime ce personnage oxymore, noble aux viles intentions. La voix et le jeu, fermes et infléchis, annoncent la blessure à venir de ses emportements fautifs (et avec une intense mesure bien adaptée au public jeunesse : un Comte de conte, le compte est bon). Enfin, la voix de Basilio (Pierre-Antoine Chaumien) bouge dans un aigu tendu mais le personnage est sournois et drôlatique.
L'Opéra de Rouen et son Orchestre maison prennent cette version participative tout public, comme il se doit, avec le même sérieux que toute grande production des Noces de Figaro. Sous la direction expressive et limpide d'Iñaki Encina Oyón (qui se tourne lui aussi vers le public pour animer la salle dans les moments participatifs), la fosse au format opératique déploie ainsi la complémentarité de ses pupitres, la richesse de ses timbres et phrasés, les intentions de la musique et du drame (avec certes quelques fausses notes aux cuivres, mais un accompagnement délicat des récitatifs au piano).
Dans la dernière partie, les panneaux du musée se reculent et se retournent pour présenter une face noire (matériau réfléchissant et rideaux) avec néons blancs : ce sont désormais les personnages classiques qui rejoignent la modernité (troquant leurs costumes classiques pour des tenues bariolées modernes suivant le même code couleur). Comme ce spectacle rappelle aux jeunes générations combien Mozart est contemporain.
Présentation
Extrait 1
Extrait 2
Refrain 1bis
Extrait 3
Extrait 4
Extrait 5
Extrait 6
Conclusion