Récital Santoni & Pirgu au TCE : Traviata échos & co
Le public du Théâtre des Champs-Élysées est clairement venu (pour cette production Les Grandes Voix) revoir ce couple d'interprètes de La Traviata acclamé la saison dernière (compte-rendu), mais ce sont quatre autres airs en duo qui rythment la soirée, au milieu et à la fin des deux parties du concert. Ces quatre points d'orgue sont à l'image d'un récital qui va croissant, à l'image des voix et carrières de ces interprètes : d'abord Mozart (Vannina Santoni était revenue sur ces mêmes planches du TCE en novembre dernier dans Les Noces de Figaro par James Gray, elle est désormais en compagnie de Saimir Pirgu pour un duo de Cosi fan tutte), puis L'Élixir d'amour de Donizetti, Roméo et Juliette de Gounod, enfin l'immense souffle de La Bohème (Puccini).
Les deux interprètes sont également couronnés d’acclamations à l'issue de leurs airs solistes respectifs et alternants. Le ténor chante aussi Don Giovanni, Werther (dans un français fort intelligible), L’Arlesiana. L'immense montée vocale s'opère sur un intense filin de voix jusqu'aux suraigus très puissamment couverts. Les sommets de la ligne adoucis en falsetto sont tendres et audibles, s'affirmant encore sur un soutien projeté. Cette diversité des caractères est à l'image des opus choisis et des sentiments, plutôt ceux d'un amoureux fou ou fou-fou (sacrifiant la candeur de Nemorino ou la nostalgie d'Alfredo).
La Juliette soliste de Vannina Santoni donne le diapason à sa soirée vocale (en particulier lorsqu'elle chante à nouveau La Traviata), d'une fraîche jeunesse prête à rompre de chagrin. La voix conserve toujours son ancrage vibré et s'installe de plus en plus longuement dans le souffle à mesure que le répertoire et les lignes s'élargissent. Elle conserve le lyrisme de la ligne dans l'halètement d'émotion comme il le conserve dans les lignes marquetées d'accents et de fanfaronnades.
Mais les airs solistes servent surtout à ménager et faire monter l'attente et l'effet des duos d'amour passionnés, aussi radieux que tragiques, dans la douleur et la douceur que les personnages ici choisis marient tous. Déjà investis sur l'avant-scène en solistes, ils s'enflamment également scéniquement en duos, le ténor s'agenouille dans le dramma, la soprano le giflant (tendrement) dans le buffa, les deux chantant souvent bouche (quasi) à bouche.
Les deux artistes ménagent et font croître encore et toujours leurs effets duettistes jusqu'à la fin du concert : dans leur grand épisode de La Bohème en trois parties, ils séparent même les deux premiers airs de rencontre entre le ténor et la soprano ("Che gelida manina!" et "Mi chiamano Mimì" qui se suivent pourtant dans l'opus) : ils chantent et entrent sur scène séparément, à leur tour, pour mieux se retrouver dans le duo "O soave fanciulla".
Ils offrent également une réminiscence de leur Traviata : dans le grand air féminin "Sempre libera", le ténor chante en écho depuis les coulisses, écho qui est dans l'œuvre celui d'une inoubliable année passée au chevet de la dame aux camélias, et ici celui d'une année passée depuis la dernière réunion de ce couple d'interprètes sur cette même scène.
L'Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège les accompagne et offre également des épisodes instrumentaux (des ouvertures des opus chantés, mais aussi de Roberto Devereux, et l'Intermezzo de Pagliacci). La phalange renforce l'unité du programme, depuis un Mozart au frissonnement déjà Verdien jusqu'à un Verdi à la clarté Mozartienne, puis les élans pleinement contrôlés de Puccini. La direction animée et preste de Paolo Arrivabeni détache aussi bien les rythmes que les différents pupitres et solistes mais en phrasant les lignes mélodiques et harmoniques. La soirée rappelle la complicité du maestro avec cet orchestre dont il était le Directeur musical, avant l'actuelle, Speranza Scappucci. Celle-ci, saluant son prédécesseur dans notre récente interview parlait également à cette occasion de l'identité sonore de son orchestre, raffiné et riche, comme ce soir encore, habitué qu'il est à accompagner de grandes voix en récital (les prochaines seront, à Liège, le duo Anna Netrebko-Yusif Eyvazov puis Pretty Yende).
Le bis de cette soirée élyséenne triomphale est certes le sempiternel "Libiamo" mais La Traviata de Verdi fait ici résonner d'une manière toute particulière les échos de la production de décembre 2018. À la santé d'un bon début d'année 2020 et au souvenir de la fin 2018.