La Route fleurie de Francis Lopez à l’Odéon de Marseille
La Route fleurie, est « celle qui mène au bonheur ». Il s’agit simplement d’un voyage en Provence de deux amis parisiens accompagnés de quelques dames. Pour ce faire, Jean-Pierre profite d’un chèque de sa tante et de sa maison dans le midi – que Jean-Pierre va louer à une diva pour gagner quelques sous. Le vaudeville commence en découvrant que le majordome de ladite tante, Gustave, a également loué la maison à un Russe (Poupoutzoff)… Lequel se révélera complètement déjanté, a fortiori dans la présente production, multipliant les facéties d’ours hystérique ménagées par Fabrice Todaro. Dans un registre non moins dynamique, entraînant et virevoltant, Kevin Lévy alias Jean-Pierre se multiple et livre des moments pleins de joie tels que les fameuses « Route fleurie », « Place du Tertre » ou « La vie de Bohème », sans parler de ses nombreux sauts de cabri d’enfant heureux.
L’Acte I se déroule à Paris et l’Acte II en Provence : les décors se succèdent astucieusement en gardant la même structure. Ils sont l’œuvre de Jacques Duparc, le metteur en scène, qui prend aussi le rôle du majordome Gustave, avec justesse. L'opérette se déploie virtuose par une réinterprétation libre et l’actualisation de l’histoire en faveur des ressorts comiques et satiriques. Jacques Duparc intègre mille clins d’yeux aux voix de comédiens disparus, aux mémoires amoncelées : hip-hop aussi bien que boogie-woogie, trottinette aussi bien que scooter, accents régionaux, etc. Les clichés et les caricatures se frôlent et se froissent dans le second degré, en jouant sans hésiter sur des effets simples et efficaces. Enfin, les personnages sont très caractérisés et différenciés (hormis toutefois le poète), comme par exemple le producteur de cinéma Bonnardel (Antoine Bonelli), lunettes noires et cravate scintillante, les figures amies mais opposées de Mimi et de Lorette, les rôles successifs de Rita Florida, tour à tour Castafiore et Calamity Jane. Les danseurs et danseuses participent pleinement à l’action dans ce même esprit et cette même dynamique.
Les comédiens, chanteurs, danseurs convoquent l'esprit du style et de leurs illustrés aînés. Kevin Lévy et Florian Cléret incarnent Jean-Pierre et Raphaël, les deux amis au centre de l’histoire, que les mémoires rattachent à Georges Guétary et surtout à Bourvil.
Florian Cléret comme son nom l'indique a une voix de ténor léger, juvénile, mais aux lignes peu conduites. Son Raphaël n'a peut-être pas cette humanité tendre du personnage dans ses nombreux airs qui introduisent et clôturent la pièce : « On est poète, ou on l’est pas », « Pas d’chance » ou les fameux « Haricots ». Mais sa légèreté et sa verve se mettent ici au service de Jean-Pierre, qui est bien, de fait, le moteur de toute l’histoire.
Julie Morgane propose une Lorette (qu’incarnait Annie Cordy en 1952) aux visages variés et à la voix la plus sûre de la troupe (soprano léger avec des aigus raffinés et assez de puissance), notamment dans l’interminable mais désopilant « Da ga da Tsoin Tsoin ». Agnès Pat (Mimi à la voix de soprano léger, gracieuse, avec un timbre fin et une conduite de voix, mais manquant de coffre) et Estelle Danière (Rita Florida, soprano lyrique dans un style music hall, dans des airs peu virtuoses, comme « La Belle de l’Ohio ») campent pleinement leur personnage : cette dernière comme Kevin Lévy fait montre d’une forte présence scénique. Sa voix de ténor déploie amplement son timbre chaud. Le lyrisme serait davantage exploité ailleurs mais convient aussi à l'opérette, par son aisance dans les modulations vocales du comique.
L'ensemble des prestations vocales fait montre de fraîcheur, jeunesse, allégresse liées à la liberté du voyage et à l'exubérance de l'œuvre.
L'effectif instrumental réduit de six cordes, une percussion, un clavier, quelques vents emporte la pièce avec énergie et précision dans une palette de rythmes et de couleurs réinventées et réorchestrées par Didier Benetti.
La Route fleurie de Francis Lopez et Raymond Vincy est reçue au Théâtre de l’Odéon de Marseille comme un beau cadeau de fin d'année par l'inénarrable public local (regrettant même ouvertement que le spectacle ne doit donné qu'une seule fois).