Petite Messe pas si solennelle mais pleine d’humanité à Rennes
« Est-ce bien de la musique sacrée que je viens de faire ou de la sacrée musique ? » s’interrogeait Gioachino Rossini après avoir achevé sa Petite Messe Solennelle en 1864. Si celle-ci respecte tous les codes de l’œuvre religieuse, elle porte aussi un sens de la dérision, un subtil équilibre entre le sérieux et le sourire. Les metteurs en scène Jos Houben et Emily Wilson le prennent au mot en créant un spectacle surprenant, déroutant et peu solennel !
Des personnages de bric et de broc se retrouvent dans un lieu du quotidien entre le marché aux puces et la salle de sport, transformé en vide-grenier. Ils vont peu à peu se découvrir, s’humaniser et apprendre à vivre ensemble. Cela permet aux metteurs en scène, assistés d'Oria Puppo (à la conception des décors et costumes) de jouer avec des accessoires, des meubles, des habits pour constituer une succession de tableaux différents, espaces musicaux en lien avec le texte sacré. Pas d’intrigues, pas de personnages principaux, juste des êtres humains/chanteurs qui évoluent, guidés par trois comédiens se baladant d’un espace à l’autre. L’humain est ainsi l’axe central de ce spectacle : l’humanité gagne peu à peu l’ensemble des protagonistes, ce qui est notamment perceptible dans le rapport du chœur avec son chef. Lui tournant le dos ou semblant l’ignorer lors de leurs premières interventions (Kyrie), les chanteurs s’intéressent peu à peu à lui, tout d’abord dans un jeu de miroir et d’imitation de sa gestique (l’Amen final du Gloria), l’observant puis le suivant de loin (Credo) pour finir en osmose parfaite (Agnus Dei). D’un ensemble de membres individuels, le chœur finit par former un corps qui respire à l’unisson, transcendant les individualités et les différences ainsi que les divergences qu’elles provoquent. Beaucoup d’humilité également chez les solistes, simplement par le fait de ne pas "boursoufler" l’émotion pour se mettre en valeur à tout prix.
Les personnages déambulent ainsi, se cognent, font peu attention aux autres : reflet de la vie de tous les jours. Jos Houben dit s’inspirer de Charlot et Tati en s’attachant à ce qu’ils avaient d’humain et non pas de comique. Jusqu’à ce qu’un personnage chute et semble se blesser (Miserere nobis). Le personnel médical vêtu de soutanes blanches intervient. Profane et sacré se confondent dans l’intérêt pour la souffrance, la condition humaine. Cet intérêt va croissant jusqu’au Salutatis hostia où amour et réconfort sont perceptibles dans les couples enlacés unissant ces êtres si hétéroclites, du joueur de basket en jogging à la bourgeoise en manteau de fourrure, en passant par un homme en costume rose ou une femme aux allures de ménagère.
L’espace sacré est souvent suggéré comme à la fin du Gloria où un mannequin de la brocante devient le corps du Christ, tenu par les personnages ayant revêtu de longues vestes aux couleurs chatoyantes, disposées de façon pyramidale autour ou sur l’escabeau à la façon des descentes de croix de la fin du XVIIème siècle. Le religieux et le sacré subliment le banal ou le quotidien. Lors de ces moments statiques, les éclairages en clair obscur (dus à Christophe Schaeffer) contrastent avec les ambiances plus dynamiques et lumineuses.
Les émotions suscitées par le texte liturgique et respectées de façon magistrale par Rossini sont rendues par l’ensemble des 12 chanteurs, admirables d’engagement et de musicalité. Les timbres des différents solistes s’harmonisent et se mêlent aux sept autres chanteurs issus du Chœur Mélisme(s), en résidence à l’Opéra de Rennes.
Le rôle de basse est confié à Ronan Airault, qui reste un peu prudent dans l’émission des notes graves et dont la prononciation est parfois hachée dans les vocalises (mais sa tessiture de baryton est convaincante). La voix du ténor malgache Sahy Ratia présente de l’aisance dans la ligne mélodique grâce à une émission droite, une homogénéité dans la tessiture et une bonne diction. Les aigus sont légers mais parfois à la limite du nasal. La voix de la soprano Estelle Béréau est lumineuse dans l’aigu, l’articulation et le phrasé sont soignés. Le timbre se diversifie selon les émotions recherchées, voluptueux ou plus doloriste, mais toujours sans excès et de bon goût. L’autre soprano Violaine Le Chenadec a une voix nuancée, à l’émission droite, au timbre riche en harmoniques dans les aigus, reflétant délicatesse et douceur, notamment dans son dernier air (O Salutatis Hostia). L’alto Blandine de Sansal est dotée d’une voix ample, sur toute la tessiture, surtout dans les graves profonds. Poignante, elle dégage une grande émotion dans sa dernière intervention (Agnus Dei).
Tous sont dirigés avec beaucoup de finesse et de conviction par Gildas Pungier qui affectionne particulièrement cette œuvre. Âme de cette assemblée qu’il tient sous sa baguette, avec la foi du sacerdoce à accomplir, il est d’ailleurs le véritable officiant de cette Messe, même sous son apparence d’homme de ménage ! Pour les accompagner, les talentueuses pianiste Colette Diard et accordéoniste Élodie Soulard ajoutent des passages poétiques lors de leurs interventions solistes.
Il est peu banal de voir la messe traitée en spectacle. Perplexes mais reconnaissants, les spectateurs applaudissent chaleureusement l’ensemble des artistes.