Hommage à Olly en la Philharmonie de Paris
Soirée musicale au caractère particulièrement émouvant : initialement programmé pour être dirigé par Oliver Knussen, très apprécié dans le monde de la musique contemporaine, le concert a dû être dirigé par Brad Lubman. L’Ensemble intercontemporain conserve très justement l’idée de ce projet qui était de faire mieux connaître au public parisien l’œuvre de ce compositeur britannique doué, prématurément disparu.
Fils d’un célèbre contrebassiste (soliste au London Symphony Orchestra) et précocement remarqué par Benjamin Britten pour ses premières compositions, Oliver Knussen a mené de front une carrière de chef d’orchestre et de compositeur. Il est resté très lié à un certain nombre de lieux musicaux anglais comme le Festival d’Aldeburgh, Londres et la Royal Academy (où il donnait des cours), Birmingham et le groupe de musique contemporaine qu’il dirigeait.
Le propos du concert est tout autant de faire connaître la musique expressive et poignante de ce musicien que d’éclairer son œuvre par les compositeurs qu’il admirait, au premier plan desquels se trouvent Toru Takemitsu, Elliott Carter et Hans Werner Henze. C’est dire -et c’est bien l’intérêt d’une telle démarche autour de la production d’un artiste- à quel point les influences de Knussen étaient multiples et diverses car chacun des trois compositeurs qui l’avaient inspiré a véritablement déployé un monde musical singulier intense et éminemment personnel.
Avec Takemitsu, c’est la passion de Knussen pour les cultures extra-européennes qui est évoquée grâce au compositeur japonais qui, bien avant la mode de l’hybridation en tous genres, exploite les régions subtiles où l’on transite d’une culture à l’autre, d’une région résonante à une autre. Après avoir assimilé de multiples éléments de la culture moderne européenne (électroacoustique, sérialisme, écriture graphique), Takemitsu, probablement sous l’influence de John Cage, en vient à intégrer des éléments de la culture japonaise, non seulement par l’emploi d’instruments orientaux, mais aussi par l’usage de modèles compositionnels liés à l’art japonais, notamment l’art des jardins et des paysages. Rain Coming (1982), très subtilement interprétée par l’Intercontemporain lors du concert, fait précisément partie d’un cycle de pièces lié à la nature, plus particulièrement à la pluie (Rain Coming, Garden Rain, Rain Tree, Rain Spell). Conduite par une phrase de flûte alto constamment menée, la pièce est une texture en perpétuelle transition à travers des harmonies suspendues et changeantes. L’œuvre et son exécution marquent par la finesse des timbres et textures soigneusement dosés par l’ensemble instrumental.
Concernant Elliott Carter, c’est la complexité des strates rythmiques et des dialogues entre caractères qui a retenu l’attention du compositeur anglais. Le choix de jouer le Triple Duo pour six musiciens (1983) lors de cette soirée tend en tout cas à le laisser penser et, pour cette pièce, c’est sans doute la virtuosité des interprètes et, plus encore, du chef américain Brad Lubman, qui est mise en relief. Les changements rythmiques de l’écriture de Carter sont ô combien importants pour la cohésion de ses œuvres et l’émergence des caractères est une donnée première pour la transmission de l’énergie musicale particulière de son écriture. L’Ensemble intercontemporain joue ici pleinement le jeu et cette pièce qui peut parfois apparaître âpre et difficile est emportée avec énergie et finesse tout du long.
Enfin, avec Hans Werner Henze et sa pièce Ode an eine Äolsharfe pour guitare concertante et quinze instruments (1985-86), c’est tout un monde poético-musical qui apparaît, montrant bien les relations avec la musique lyrique de Knussen. Écrite à partir de poèmes de Mörike qui ne sont pourtant pas chantés, la pièce concertante pour guitare sculpte une grande délicatesse, interprétée avec une grande expressivité par Pierre Bibault qui fait résonner une guitare éblouissante par la richesse de sa palette.
Les deux autres œuvres de ce riche programme sont d’Oliver Knussen. La première, O Hototogisu ! Fragment of a Japonisme pour soprano, flûte et grand ensemble, écrite à partir d’un montage de courts poèmes japonais, témoigne de cette admiration du compositeur pour la culture japonaise. La pièce, qui accorde autant de place à la flûte qu’à la voix dans un dialogue constant et soutenu entre les deux entités, impressionne par une dimension lyrique très émouvante, servie par la virtuosité pleine de tact de Sophie Cherrier à la flûte, ainsi que par la présence vocale expressive de Claire Booth.
Claire Booth, du reste, occupe dans cette soirée une place particulière. Elle est en fait la dédicataire des deux œuvres d’Oliver Knussen. Dans la deuxième partie de la soirée, elle interprète avec une expression très investie et emplie de justesse le Requiem, Songs for Sue, que le compositeur avait écrit à la mémoire de sa femme. C’est dans cette pièce qu’elle donne toute la mesure de son talent, de l’expression concentrée nécessaire à l’interprétation d’une musique dense, qui ne renonce à aucune dimension du musical, dont chaque son est habité par les poésies qu’elle porte (Rilke, Machado, Auden, Dickinson). Utilisant bon nombre d’instruments graves, le compositeur anglais souhaitait pour cette pièce les couleurs de l’automne, dont la beauté des vieux ors et des ocres salis réveille un éventail de sentiments : la tendresse, le souvenir, la mélancolie, et toute une palette d’émotions que la voix de Claire Booth et l’Intercontemporain sous la baguette de Brad Lubman auront fait sonner chaleureusement durant ce concert.