Grandiose Stabat Mater de Rossini au Théâtre des Champs-Élysées
La soirée débute avec la mythique Symphonie inachevée de Schubert : l’occasion d’apprécier la grande maîtrise des nuances du Philharmonique du Luxembourg, de la fameuse phrase mystérieuse des cordes basses qui parcourt le premier mouvement aux accents fortissimi du tutti, peut-être un peu trop statiques cependant. Dans l’Andante con moto qui suit, les bois sont emportés dans un mouvement allant, fluide et paisible. De sa main gauche, Gustavo Gimeno sculpte et étire avec goût la matière sonore.
Après l'entracte, le plateau est prêt à accueillir l’impressionnant effectif requis par la grande œuvre sacrée de Rossini. Les premières mesures annoncent d’emblée la théâtralité de l’approche du maître du belcanto : un arpège de septième diminuée dessine la silhouette torturée de cette Vierge des douleurs recueillie aux pieds de la croix du martyre de son fils. L’écriture opératique affleure en effet tout au long des dix numéros.
Le ténor René Barbera ouvre le bal avec aplomb, faisant montre de toutes les qualités attendues dans ce répertoire qu’il défend sur les plus grandes scènes internationales : legato de la voix et souplesse des ornements sont sans conteste au rendez-vous. Dans la cabaletta (petite reprise ornée) qui suit le premier tercet (malaisé à identifier sur la transcription fautive du texte), certains aigus semblent cependant quelque peu serrés et contraints. L'acoustique de la salle semble plus favorable à l’orchestre qu’aux solistes disposés en avant-scène.
Viennent ensuite les deux voix de femme. Passée l’élégante introduction, l’orchestre se retire en faveur du soprano plein et lumineux, soutenu par un vibrato mesuré, de Maria Agresta, bientôt rejointe par Daniela Barcellona, mezzo de caractère, mais dont le médium est régulièrement couvert par les aigus de la soprane. Il faut attendre la cavatine (petite pièce vocale sans reprise) pour l’entendre seule et apprécier à sa juste valeur la richesse de son timbre, capable d’une grande douceur comme d’une passion intense, deux sentiments mis en concurrence dans le processus d’identification mystique : « Fais que je sois blessé de ses plaies, que je m’enivre de la croix, pour l’amour du Fils » (pour ne pas suivre la traduction erronée du programme).
Quant à Carlo Lepore, qui remplace ce soir Vitalij Kowaljow souffrant, il s'épanouit dans son récitatif accompagné par le chœur a cappella, trouvaille savoureuse de Rossini qui évoque ainsi la réponse collective de la communauté des fidèles aux vœux solennels du sacerdote. En interprète consommé de ce répertoire, il ne se départ jamais de son autorité sévère et précise, mais sait alterner un lyrisme barytonant à une énonciation tourmentée, mais sonore jusqu’au Fa grave.
Ces quatre solistes parviennent à des équilibres convaincants dans le grand quartette central. Maria Agresta se signale par des vocalises impeccables dans le tercet qu’elle partage avec René Barbera. Le chœur viennois, constitué d’amateurs, mais tout-à-fait professionnel sur le plan musical, n’est pas un simple faire-valoir des solistes. Il manie avec flexibilité des nuances extrêmes, passant en un instant de l’effroi terrible du jugement dernier aux murmures implorants de la prière la plus humble. Ainsi le casting d’exception révèle-t-il toute la palette théâtrale et mystique de cette belle œuvre.