Orphée aux Enfers : de bonnes intentions à l’Odéon de Marseille
Un an après avoir égayé les fêtes de fin d’année avignonnaises, la
production de Nadine Duffaut vient s’installer à l’Odéon
de Marseille, haut lieu de l’Opérette et en particulier de l’œuvre
d’Offenbach. La coproduction avec Avignon et Reims assure à la
mise en scène un budget qui se ressent dans la facture des décors
d’Éric Chevalier et des costumes de Katia Duflot,
moins factices et clichés qu’à l’habitude à l’Odéon : le « village » de Thèbes retourne les devantures de ses
commerces pour en montrer l’intimité, l’Olympe devient un salon
de thé décadent de lendemain de cuite, l’Enfer un salon rouge
feutré qui évoque plus la luxure de ses résidents que la
damnation.
Il serait toutefois réducteur de résumer à une question de moyens la fraîcheur qu’apporte cette mise en scène. Les touches de modernité des costumes surprennent et amusent, mais restent fidèles à l’esprit du livret : ainsi retrouve-t-on les sbires de Pluton en costumes de bondage et Eurydice en danseuse de cabaret. La direction d’acteurs (et en particulier du Chœur Phocéen) s’avère très fouillée, et le désordre apparent de plusieurs tableaux est tout à fait volontaire : que ce soit pour démontrer la fumisterie des Dieux ou pousser plus loin l’atmosphère absurde et anachronique du livret. Tantôt mouches, tantôt caïds, les danseurs du Ballet de l’Opéra d’Avignon distillent de beaux intermezzi sur les chorégraphies d’Éric Bélaud, même si le public n'échappera pas au sempiternel french cancan du « Galop Infernal ».
Emmanuel Trenque, habituel chef de chœur de l’Opéra de Marseille, avait déjà contribué avec Nadine Duffaut et Éric Bélaud à la réussite de La Vie Parisienne en 2018 : le voilà de nouveau seul maître à bord à la tête de l’Orchestre de l’Odéon. Quelques décalages occasionnels, notamment au niveau des bois, n’entachent pas la légèreté contagieuse de l’interprétation. Le Chœur Phocéen (et notamment Jacques Freschel en dicteur) se montre aussi omniprésent qu’impeccable : les voix masculines, mises en avant au début et en fin d’opéra, convainquent notamment par leur densité.
La partition d’Offenbach regorge de truculents rôles secondaires : à commencer par le Mars libertin de Mikhael Piccone, dont le réjouissant engagement scénique épouse l’aplomb vocal. Caroline Géa, connaisseuse des lieux et du rôle, campe sa Diane sainte-nitouche avec sérieux et ardeur. Perrine Cabassud offre une Vénus lumineuse, Jeanne-Marie Lévy se distingue en Junon jalouse et Davina Kint se pose en Minerve.
La mise en scène impose à Jacques Lemaire (John Styx) un accent anglais qui nuit à sa diction jusque dans son air « Quand j’étais roi de Béotie ». La projection, un peu légère, a du mal à couvrir l’orchestre. Comme souvent à l’Odéon, le spectateur en vient à regretter l’absence de surtitrage. Julie Morgane aimante les regards par sa présence en Cupidon facétieux : le passage systématique et marqué de la voix de poitrine en voix de tête à la limite de cette dernière s’avère un peu distrayant.
La bonhomie théâtrale de Philippe Ermelier colle avec justesse aux basques de Jupiter : sa voix puissante et engagée, comme ses gestes véhéments siéent particulièrement à ce père de famille débordé, patron décadent d’un Olympe chaotique. Sa bonne humeur lui permet d’endurer sans (trop de) ridicule le costume du duo de la Mouche. Son messager Éric Vignau (Mercure) entre sur scène à vélo, mais peut-être fatigué par le pédalage, la projection du ténor s’avère un peu insuffisante face au volume de l’orchestre et au rythme effréné des vers laissant trop peu de place aux prises d’air.
Le public aurait sûrement souhaité entendre davantage la voix chaude et enjôleuse de Marie-Ange Todorovitch : dans la peau de l’Opinion Publique, elle s’avère peut-être moins à l’aise théâtralement, comme si elle se sentait bridée dans son rôle d’ombre scénique de Samy Camps (Orphée). Si ce dernier sait se mettre le public dans la poche le temps d’un solo d’air-violon, son timbre clair et léger tend à s’effacer face à celui de son rival, le Pluton de Marc Larcher qui charme le public autant qu’Eurydice avec sa diction excellente, son timbre taquin et bien placé, son charisme scénique et les facéties de son falsetto.
La jeune soprano Amélie Robins, qui interprétait Cupidon en Avignon l’année dernière, a depuis gagné en grade : sa prise du rôle d’Eurydice reste l’un des moments forts de l’après-midi. Sa tessiture impressionnante n’est jamais prise en défaut, même dans le grave, et son agilité colorature insolente lui fait remporter sans combattre toutes ses joutes vocales face à Orphée ou Jupiter. Le public rémois aura le plaisir de la retrouver, ainsi qu’une bonne partie de cette distribution, dans le même rôle fin janvier.