Veillée de Noël avec Marc-Antoine Charpentier
Grâce
à un « travail
scientifique
d’archéologue » et
des talents d’arrangeur, l’organiste-claveciniste Sébastien Daucé présente une reconstitution de La
Pastorale de Noël de
Marc-Antoine Charpentier. Celui-ci composa cette œuvre loin de la
cour et des fastes de Versailles, étant au service de Marie de
Lorraine de Guise, une mécène
très pieuse passionnée par l’art.
La
figure de l’enfant
Jésus prend une place importante dans les dévotions des Guise après la
disparition du dernier héritier, alors âgé de cinq ans, et suscite la création d’œuvres dont La
Pastorale sur la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ qui
est donnée ce soir dans sa deuxième version. Elle relate la visite
des bergers à la crèche et, fait rarissime pour une pièce sacrée, est chantée en français (et non en latin)
rendant superflu le surtitrage du concert. Une série d’antiennes
nommées les « O de l’Avent » (pièces
courtes commençant
toutes par un « O »
invocatoire)
précèdent La
pastorale
ainsi que de brefs Noëls traditionnels.
L’esprit
de Noël est évoqué dans un mélange stylistique populaire et savant, teinté à la fois de naïveté et de gravité, le tout
nimbé d’une douceur touchante.
Bien que le manuscrit comporte des indications théâtrales (mise en espace), c’est en position de concert que se présentent les interprètes de l’Ensemble Correspondances, les chanteurs derrière le groupe instrumental, réparti lui-même de chaque coté de l’orgue/clavecin tenu par le chef. Sébastien Daucé peut alors communiquer avec chacun sans que rien ne vienne entraver la cohésion de l’ensemble. Dans un grand souci d’équilibre permettant à l’auditoire de déguster les subtilités de la polyphonie du maître français, chaque chanteur (9 au total) occupe une place particulière, assumant un rôle essentiel au sein de l’harmonie.
Violaine Le Chenadec interprète la première bergère d’une voix quasi enfantine au timbre clair et à l’émission droite. Dotée d’un timbre riche en harmoniques aigus et d’une aisance pour le registre supérieur, elle assume la place de soprano 1 avec aisance.
Caroline Weynants convoque une grande douceur lorsqu’elle incarne l’ange venant annoncer la naissance de Jésus et sait également l’intensifier lorsqu’elle invoque les cieux au silence. Sa voix amène une certaine rondeur lors des duos avec la soprano 1 (les deux bergères affligées) et se marie constamment à celle de Perrine Devillers, variant toutes deux leur chant d’ornements distincts et délicats. Tour à tour bergère ou ange, son timbre demeure rond et sa diction impeccable.
Le timbre reconnaissable de la mezzo-soprano Lucile Richardot (très souvent en registre de poitrine à cette place dans l’ensemble) assure une présence vocale constante, qu’elle chante la basse dans le quatuor de femmes, ou la partie de dessus dans les ensembles avec les voix masculines. C’est en soliste qu’elle intervient dans les Antiennes, et s’avançant devant l’orchestre pour « O Sacramentum », elle délivre le texte dans une suavité saisissante mais peut également toucher par son intensité.
La partie de haute-contre qu’assurait Marc-Antoine Charpentier lui-même dans les salons des Guise, est confiée à David Lee. Il peine quelque peu à trouver une place sonore aux côtés de sa collègue mezzo-soprano mais s’affirme néanmoins avec les vocalises fusantes de la quatrième scène (Gloire dans les hauts lieux). Son timbre ressort également sur « Source de lumière », se démarquant de la douceur générale par une nasalité très importante enfermant sa voix dans un trop petit espace.
Le ténor Davy Cornillot, bien qu’intervenant peu en soliste, est remarqué par sa voix ronde et libre, tandis que le timbre bien défini du baryton Étienne Bazola s’affirme dans les récits de l’Ancien, annonçant qu’une grande nouvelle et qu’un changement essentiel se préparent (« Ecoutez-moi »). La voix franche et rayonnante de Renaud Bres (baryton-basse) apporte une certaine théâtralité dans l’évocation de la parabole du « loup infernal et de la brebis si chère » et la basse Emmanuel Vistorky soutient efficacement l’ensemble d’une voix constamment accrochée et riche.
Sébastien Daucé s’entoure d’instrumentistes talentueux, tous impliqués dans une volonté de valoriser les harmonies subtiles de la musique de Charpentier et de préserver un beau son. La variété réside essentiellement dans les arrangements du chef jouant des timbres ingénieusement.
Le public, ravi, rend hommage aux interprètes, en espérant que ce premier concert au Théâtre des Champs-Élysées soit suivi de nombreux autres.