La Veuve joyeuse fait son music-hall au Théâtre Municipal de São Paulo
C’est une sorte de pari que ce factotum télégénique s’est lancé à lui-même en montant cette Veuve joyeuse dont il signe également une traduction, ou plus exactement une adaptation en portugais, du livret de Viktor Léon et Leo Stein. Miguel Falabella avait pourtant à sa disposition la traduction de Millôr Fernandes, dont la poésie et la musicalité font autorité au Brésil depuis sa parution en 1982. Dit, chanté et surtitré dans la langue nationale, le spectacle s’assure ainsi la venue du grand public qui connaît par ailleurs le travail de Miguel Falabella dans d’autres circonstances. Ce qui frappe de sa mise en scène est cette occupation de l’espace par l’élément floral qui envahit tout le plateau et en recouvre le moindre relief. Mais une accumulation massive de fleurs ne fait pas nécessairement un florilège : au fur et à mesure de l’avancée du spectacle, ces couleurs extrêmement vives, voire criardes, forment autant de paillettes florales clinquantes et tapageuses qui tapissent chaque composante de la conception scénographique de Zezinho Santos et Turíbio Santos.
Si l’uniformité azurée lors de l’ouverture peut surprendre et séduire avec ces arbres en animation qui s’effacent au profit des danseurs, la permanence de la superposition, dans les décors, des rouges coquelicots, des jaunes tournesols, du vert gazon, relayés par les costumes féminins en écho chromatique de ceux-ci, fatigue le regard et nuit sans doute à la dynamique des mouvements dramatiques absorbée par ces puits de lumière statiques. Même le spectacle dans le spectacle que sont les interventions des danseuses de cancan (sur la citation du célébrissime Galop infernal, extrait d’Orphée aux Enfers d'Offenbach), menées avec efficacité et chaleureusement accueillies (chorégraphies de Fernanda Chamma) pâtissent de ce decorum. Cependant, le positionnement des personnages (chœur compris) est souvent pertinent et donne lieu à des tableaux photogéniques.
La direction musicale, assurée par Alessandro Sangiorgi, par ailleurs directeur adjoint de l'Orquesta Sinfônica Municipal de São Paulo ici à l’œuvre, cherche et trouve un équilibre entre les écarts d’une partition exigeante. La gestuelle précise du maestro italien à l’égard des instrumentistes en fosse s'allie à son attention permanente en direction des chanteurs solistes. Mário Zaccaro, le chef de chœur, est également récompensé par le public, tant le Coro Lírico Municipal brille par sa puissance, ses coloris soignés et son investissement au service de l’action dramatique.
Le plateau vocal, lui aussi très applaudi, se place sous le signe d’une heureuse diversité d'origines. Le rôle d’Hannah Glawari (la veuve) incombe à la soprano italo-brésilienne Camila Titinger qui irradie par l’aura de sa présence scénique, de ses mouvements et de ses gestes. La voix est pleine, très homogène sur toute la tessiture, son phrasé ourlé tout en dentelle donnant la préciosité nécessaire au rôle-titre. Les projections sont bien assurées, tantôt amples et puissantes, tantôt douces et flûtées. Son air de l’acte II charme l’auditoire, même si les notes finales auraient pu être un peu mieux contrôlées du point de vue du souffle. Ses duos avec le Comte Danilo sont équilibrés dans l’alliance des timbres.
Ce dernier est incarné par Rodrigo Esteves, baryton ibéro-brésilien qui est un diplomate plus vrai que nature sous l’angle du jeu dramatique. La voix est haute et forte, puissamment charpentée, et présente d’élégants médiums et hauts-médiums pleins et chauds. La Brésilienne Lina Mendes est une charmante Valenciana. Convaincante, sa voix de soprano est légère et fluide, le timbre clair et onctueux. La ductilité de la ligne mélodique lui assure une belle agilité dans les aigus et un franc succès par la dextérité de ses coloratures. Une séduisante unité de ton et d’intentions vocales l’unit assez naturellement à son prétendant, Camilo de Rosillon, chanté par Anibal Mancini. La hauteur de la voix de ce ténor est soutenue par un vibrato serré mais discret, tandis que l'homogénéité de son timbre se reflète sur toute la tessiture. Le Baron Zeta enfin, interprété par l’acteur Sandro Christopher, impressionne par sa performance dramatique et son occupation de l’espace. Sa participation au fameux septuor masculin ne rend pas moins valeureuse sa prestation vocale, essentiellement parlée à l’échelle de tout le livret.
Tous les rôles secondaires sont assumés (et en particulier celui d’Olga par Andreia Souza) avec un investissement vocal et théâtral qui participe pleinement au succès de l’entreprise, ovationnée par le public.