L'Opéra Royal de Versailles amoureux d'Hercule amoureux
S'il est vrai que l’Ercole Amante de Francesco Cavalli, sur un livret de Francesco Buti, essuya un échec devant la cour du Roy Soleil en 1662, c’est ici un triomphe qui le couronne, tout à l'inverse. Commande du cardinal Mazarin en l'honneur du mariage de Louis XIV, l'opus se devait d'être spectaculaire, à l'image de l'immense salle des Machines du palais des Tuileries construite pour l'occasion. Le spectacle et les machines sont bien au rendez-vous à Versailles et s'enchaînent dans la mise en scène de Valérie Lesort et de Christian Hecq, avec une lecture élégante et magique, à l’extravagance baroque et moderne. La cohérence et la continuité entre les différents éléments de la mise en scène est constante et organique : les costumes eux mêmes s'intègrent littéralement dans les décors et les machines (les tenues complètent et composent les soleils, ciels, feuillages, mers, abîmes).
La scène représente un théâtre antique dans lequel les personnages peuvent se cacher, apparaître, disparaître avec des rebondissements continus : elle est d'autant plus sobre et nette pour laisser se déployer les éléments fantastiques, qui regorgent tous de surprises (dès le tout premier rideau avec cet énorme soleil doré qui domine un ciel royalement bleu, et dont les bouts des rayons sont les visages et les voix du Chœur Pygmalion toujours aussi ductile et habile). Très émouvant, le chœur de voix viriles sur l’air « Dormi, dormi » avec les vibrations des basses gouvernent la scène en se mêlant aux voix plus claires des ténors pour un effet extatique. Les danseurs, dans leur élégante précision sont, avec ce chœur, le trait-d’union entre les différents actes et personnages.
En premier lieu, répondant au (Roi) Soleil, la Lune du Prologue est interprétée par Giulia Semenzato (également Vénus et la Beauté). Douée d’une grande capacité vocale et théâtrale, la soprano à la voix claire et de cristal prononce ses récitatifs avec une grande intensité interprétative et une diction impeccable. Les gestes de ses mains et sa posture évoquent ceux des personnages allégoriques peints dans les toiles baroques, dont chaque pose symbolisait un affect bien précis. Nahuel di Pierro prête sa voix de basse au personnage d’Hercule. Avec des notes graves rondement menées et une agilité dans l'aigu (flirtant avec la voix de tête) cet anti-héros (qui traumatise toute sa famille dans cette histoire) incarne aussi dignement les sentiments de force et de séduction du personnage.
Francesca Aspromonte est une Iole docile qui, grâce à sa voix de soprano et ses phrases bien liées et prononcées, donne force à ce personnage qui pourrait aisément demeurer dans un timide retrait filial. La mezzo-soprano Anna Bonitatibus est une Junon à l’impact considérable sur le public. Sa voix riche, tant dans les notes graves que dans les aigus, soutient sa présence scénique et sa gestuelle baroque. Giuseppina Bridelli creuse une dramatique Déjanire. Par la puissance de sa voix et la grande émotivité nourrie de son interprétation, habillée d’une robe d’argent et de larmes qui termine dans une traîne infinie (qu'elle étire à travers son errance en lignes droites sur scène), la soprano émeut visiblement et durablement l’auditoire.
Hyllus interprété par le ténor Krystian Adam, chante sa crainte et son malheur avec une voix claire et riche, mais qui s’adapte au rôle dramatique. Voix abyssale qui émerge tant par sa profondeur que par sa puissance (et du fond d'un sous-marin), Neptune est la basse Luca Tittoto décidément incisif. Le Page et Lycas, rôles buffo de l'opéra, sont respectivement tenus par les contre-ténors Ray Chenez, d’une voix tonitruante et brillante, et Dominique Visse, qui joue avec les contrastes de la voix de tête et celle de poitrine. La soprano Eugénie Lefebvre incarne les rôles de Pasithée, Ombre de Clérique, Troisième Grâce et Deuxième Planète. Élégante sur scène, sa voix éclectique lui permet d’interpréter les différents personnages avec propreté de prononciation et justesse de souffle.
La direction magistrale de Raphaël Pichon donne à l’opéra de Cavalli une touche de modernité tout en respectant la philologie musicale italienne. Le chef, qui intervient aussi dans la scénographie pour réveiller Hercule, n'a pas besoin d'en faire autant envers le public. Toute l'équipe des artistes reçoit le triomphe herculéen d'un public amoureux.