L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel, en création musicale à Toulouse
Les racines qui
ancrent Marc Bleuse à la ville de Toulouse sont anciennes et
particulièrement solides. Après une carrière menée notamment à
Paris comme Directeur du Conservatoire National Supérieur de Musique, puis comme Directeur de la musique et de la danse au
Ministère de la Culture, Marc Bleuse a dirigé de longues années le
Conservatoire National de Région à Toulouse et l’Institut
Supérieur des Arts de la Ville. Aujourd’hui en retraite, il se
lance à 82 ans dans l’écriture de son premier opéra qui vient
compléter un catalogue certes important mais un peu raccourci par
ses multiples et importantes tâches administratives. Cet amoureux de
la voix (il a épousé la soprano Anne Fondeville), élève d’André
Jolivet, a découvert avec fascination la pièce de Paul Claudel,
L’Annonce faite à Marie, durant son adolescence.
Jean-François Gardeil, baryton et metteur en scène, en adapte le
texte en respectant scrupuleusement une intrigue profondément
chrétienne que l’auteur du futur Soulier de Satin (qui
doit inspirer un nouvel opéra à Marc-André
Dalbavie la saison prochaine à Paris),
converti en 1886 à Noël sous la statue de la vierge à Notre-Dame
de Paris, a souhaité édifiante et lumineuse par son issue.
Cette histoire contemporaine de celle de Jeanne d’Arc et du sacre de Charles VII, expose le chemin de croix de la belle Violaine Vercors, promise par son père qui part pour Jérusalem au solide paysan Jacques Hury. Un baiser fort chaste donné à l’architecte Pierre de Craon, lépreux, se révèle fatal. Atteinte par ce mal affreux, elle est rejetée par tous avant de connaître la rédemption et d’accomplir des miracles. Sa mort dans les bras de son père lui ouvre les portes du ciel.
Pour cet ouvrage d’une durée d’une heure trente environ, en quatre actes et un prologue, Marc Bleuse a composé une partition rigoureuse, presque ascétique, qui fait intervenir le remarquable Quatuor Béla, de nombreuses percussions complémentaires, mais aussi l’ensemble de cuivres anciens de Toulouse, Les Sacqueboutiers. Ces derniers interprètent en sus au sein d’un intermède placé après le second acte, certains extraits de morceaux issus de la musique médiévale. De même, le Chœur féminin Antiphona, dirigé par Rolandas Muleika et spécialisé dans les musiques anciennes, fait entendre un magnifique Salve Regina de type grégorien (musique des moines inspirée de Saint Grégoire).
Pierre Bleuse, fils du compositeur, dirige avec ferveur cette partition un peu hybride tout de même, qui laisse peu de place aux envolées lyriques et aux emportements. Au plan strictement vocal, Marc Bleuse accorde plusieurs formes en vigueur, faisant appel à un baryton de type Verdi pour le rôle de Pierre de Craon, à un soprano aigu voire presque colorature pour le rôle principal ou au parlé-chanté pour d’autres interprètes. Mais il place aussi des passages simplement parlés, comme pour le rôle de la mère de Violaine tenu par la comédienne Laurence Roy.
Jean-François Gardeil campe un Moine qui vient commenter l’action par de brèves interventions. Dans le rôle de Violaine, la voix de Clémence Garcia apparaît un peu faible lors des deux premiers actes pour s’affirmer un peu plus ensuite notamment dans le registre aigu. Sarah Laulan s’empare avec une forte conviction du rôle de la sœur de Violaine, Mara Vercors. Sa voix de mezzo forte et chaleureuse s’accorde pleinement avec la passion dégagée par ce personnage, jalouse de sa sœur et amoureuse de Jacques qu’elle finira par épouser. La scène qui l’oppose au troisième acte à Violaine la lépreuse et qui voit la résurrection de son enfant mort constitue le sommet de la soirée.
Philippe Estèphe incarne avec intelligence et d’une voix de baryton bien timbrée, fort assurée, la partie de Jacques Hury, tandis que Pierre-Yves Pruvot marque de son empreinte le rôle de Pierre de Craon. Le matériau vocal est superbe et démontre, après son triomphe tout récent à l’Opéra de Metz en Rigoletto, la maturité désormais acquise (vous pouvez réserver ici pour l'entendre dans Parsifal de Wagner sur cette scène toulousaine). Lionel Sarrazin peine un peu plus en Anne Vercors, le père de famille, même si l’artiste intéresse toujours par son implication scénique. La mise en scène de Jean-François Gardeil se veut en premier lieu illustrative et s’efforce de donner corps à un « mystère » qui touche au cœur par sa manifestation d’une foi authentique.