La Flûte enchantée et colorée par David McVicar à Londres
Couleur,
chaleur et lumière sont
au rendez-vous du plateau, dans la mise en scène comme avec la puissante
distribution, le tout devant un public enthousiaste.
La production de McVicar présente
le monde de
Sarastro comme un Versailles plutôt duveteux avec des hommes en
perruques poudrées et en redingote. L’ensemble
se marie à l’univers de la Reine de la nuit qui reprend les décors de la production de Berlin en 1816. McVicar contrôle le mouvement du plateau en musicien : les personnages se déplacent sur scène
sans jamais nuire à l'art des chanteurs, ils mettent en valeur les rythmes et les intentions du texte de Schikaneder et de la musique de Mozart.
L’élégance se marie d’abord avec les moments comiques des dialogues parlés grâce au rôle de Papageno incarné par Vito Priante (qui ajoute une nouvelle corde à son arc vocal très riche en personnages divers et variés). Les expressions scéniques et vocales sont concentrées, l'éventail des émotions n'est pas très large, mais l’interprète sait être comique jusque dans sa tentative de pendaison. Le duo final Papageno-Papagena, très en place et tout aussi enjoué, fait fureur auprès du public. Yaritza Véliz, chilienne et membre du programme des jeunes artistes Jette Parker, offre une Papagena étincelante et radieuse, volant la vedette comique à tout le plateau.
Benjamin Hulett compose un Tamino avec beaucoup de pathos, un contrepoint très riche à son homologue léger Papageno (leurs scènes en duo sont particulièrement travaillées dans la symétrie) mais injectant difficilement les éléments empruntés à l'opera seria (arias tragiques avec reprises poignantes). L'étendue de la voix reste mesurée et son registre aigu a notamment tendance à se rétrécir avec un vibrato exagéré, qui laisse quelques phrases moins bien formées.
Le même enjeu de sérieux dans le caractère et de tragique se pose à Pamina. Elsa Dreisig y répond par une voix agile et aérienne. L'aisance vocale sait aussi, soudainement et comme par surprise, se mettre au service de la mélancolie et du tragique, triste et profond. Des qualités qu'elle nourrit dans toute sa prestation, y compris en ensembles où elle offre une présence noble face aux épreuves initiatiques du livret.
L'opposition entre la Reine de la nuit et Sarastro est au cœur du drame. La chanteuse Tuuli Takala fascine la plus grande part du public avec ses airs virtuoses, dans un mélange de sauvagerie musicale (tirant vers le Beethoven plus tardif, par son ancrage expressif), couplé à une colorature ardente et une capacité à sortir ses meilleurs suraigus comme de nulle part et sans effort. Le joyau musical est au service d'un portrait dédaigneux mais fragile du personnage, qui bénéficie grandement de la présence du texte parlé sans coupures. Sarastro lui offre le contrepoint et l'équilibre de notes fabuleusement résonnantes dans le grave, mais aussi à travers l'ambitus et les ensembles. Une gravité vocale qui doit se retrouver dans celle du personnage, comme c'est le cas ici.
Sarastro est entouré d'une suite de prêtres et d'hommes armés. Les deux prêtres sont habilement projetés par Harry Nicoll et Donald Maxwell, qui s'engagent avec force dans les deux finales : des interventions difficiles, efficacement mises en scène et chantées (même s'ils se promènent ensuite sur scène avec l'enthousiasme de cadres fatigués, en route pour une réunion d'affaires à laquelle ils ne veulent pas assister). Les deux hommes armés de Sarastro, interprétés par Andrés Presno et Julian Close, tirent parti de leur mouvement fugué pour annoncer les épreuves initiatiques avec des voix protocolaires. Rodell Rosel donne à Monostatos toute sa méchanceté mal placée, avec une voix et une présence, comiques et puissantes.
Les trois dames (Kiandra Howarth, Hongni Wu et Nadine Weissmann), présentes tout au long de l'opéra, reçoivent un accueil superbes : à bien des égards, elles assurent la continuité dramatique et vocale du spectacle, mariant et individualisant leurs deux sopranos et mezzo dans une harmonie constante. Les trois garçons sont effectivement interprétés par trois enfants, mais toute la bienveillance que le spectateur peut avoir pour de jeunes âmes n'empêche pas de regretter leur prestation, et la tradition du XIXe siècle qui consistait à donner ces parties à des femmes en travesti.
L'aspect le plus frappant dans la performance de la soirée est sa rapidité. Leo Hussain pousse la fosse du début à la fin, magnifiant la virtuosité des instrumentistes, mais imposant aussi quelques moments de stress aux chanteurs. L'Orchestre maison parvient tout de même à déployer ses jeux et ses couleurs, notamment en réponse au Chœur masculin, à la gravité digne des prêtres de Sarastro.