Le génie de Bernstein enchante l’Opéra de Liège avec Candide
Candide, qui bénéficie du cumul des génies de Voltaire et Bernstein, est probablement, bien que créé en 1956 pour sa version initiale, le dernier opéra humoristique majeur à figurer aujourd’hui au répertoire, fut-ce la plupart du temps en version concert. Livret invraisemblable et à l’humour décapant mais proposant de nombreux niveaux de lecture, musique empruntant à différentes cultures et à différents genres, générant un enchaînement d’airs qui restent en tête : Candide affirme sa singularité.
Pour cette co-production liégeoise, Patrick Leterme opte pour une mise en espace (qui pour des raisons pratiques prend place dans le décor des Pêcheurs de perles, donné en parallèle -lire notre compte-rendu). Les costumes de Gaël Bros permettent de caractériser les personnages, les lumières de Laurent Kaye inventent les ambiances, tandis qu’une structure métallique sert d'écran, sur lequel sont projetés les surtitres avec humour, par leur spatialisation et la variété de leur format. Le livret (anglais) lui-même est revu pour y ajouter (en français dans le texte) quelques caustiques références actuelles (Cunégonde, expliquant son sacrifice : « C’est Lacroix que je porte »), qui trouvent leur prolongement scéniquement (l’Archevêque de Notre-Dame qui bénit la foule avec un extincteur, par exemple).
Ce travail scénique s’appuie sur un plateau vocal fort théâtral mais manquant d’homogénéité musicalement. Les décalages de rythme, de nuance ou de justesse sont fréquents et valorisent peu les ensembles. Le rôle-titre est attribué à Thomas Blondelle, au timbre d’un métal froid et brillant, à la musicalité nuancée. Ses longs aigus nimbés et vivement vibrés offrent des piani fins mais intenses, qui tranchent par leur profondeur avec les sourires niais qui l’habillent dans les passages comiques. Sa largeur vocale se révèle dans des médiums très structurés, notamment dans sa colère finale. Shadi Torbey est un narrateur narquois à souhait et à l’anglais emprunté, ainsi qu’un Pangloss investi. Son timbre est sombre, riche, large, brillant. En Cunégonde, Sarah Defrise défrise et offre une performance théâtrale décoiffante et très applaudie. Elle est dotée des aigus et de l’agilité vocale nécessaires au rôle, mais la voix manque de la légèreté et de la subtilité qui sublimeraient son grand air.
Maximilian prend les traits de Samuel Namotte au beau débit et au timbre rutilant, très à son aise dans le médium mais fragile dans l’aigu. Paquette est chantée par Lotte Verstaen d’une voix charnue et chaude, qui s’affine dans l’aigu. Pati Helen-Kent chante le rôle de la Vieille femme de ses graves ardents, appareillés à sa fataliste bonhomie. Les aigus sont en revanche moins sûrs. Leandro Lopez Garcia (le Gouverneur et Vanderdendur) couvre une voix légèrement vibrée, s’appuyant sur un médium puissamment battu, s’envolant vers de longs aigus, qui s’éraillent cependant lorsqu’ils ne sont pas assez appuyés. Gabriele Bonfanti est un Cacambo mutin tandis que Kriztian Egyed (Ragotski et Ferone) dispose d’une voix sombre et mate.
Patrick Leterme dirige le Candide Symphonique Orchestra & Choir avec sobriété. Trop peut-être : la formation réduite, bien qu’appliquée, manque de la folie qui obligerait le spectateur à se tortiller sur son siège au rythme des gavottes, valses et polkas. Le style correspond de fait plus aux passages lyriques, dans lesquels se perçoivent les vastes plaines de l’Eldorado ou les profondeurs de la détresse du héros. Le Chœur souffre de décalages mais s’implique pleinement dans la mise en scène, jouant et dansant avec dynamisme, pour le bonheur d'un public enthousiaste.