Lucia di Lammermoor renoue avec son Écosse natale à Monaco
Lucia di Lammermoor de Donizetti mise en scène par le Directeur des lieux Jean-Louis Grinda, co-produite avec la New National Théâtre Foundation de Tokyo -où elle fut créée en avant-première en 2017, puis présentée tout récemment au Palais des Arts de Valence-, s’imposait au Grimaldi Forum dans le cadre de la Fête nationale monégasque.
Jean-Louis Grinda pour la mise en scène et Rudy Sabounghi pour les spectaculaires décors, replacent Lucia dans la première moitié du 19ème siècle au sein de l'Écosse secouée par les luttes de clans (dans les lieux de cette histoire donc, un siècle après celle-ci certes, mais cela correspondant à la période d'écriture du fameux roman de Walter Scott et de création de cet opéra). Dans cette approche, l'océan -géographique et sonore- prend une dimension toute particulière et semble comme le réceptacle des tensions, des folies qui régissent les rapports humains et sociétaux. Le rideau au premier acte s’ouvre ainsi sur un imposant promontoire rocheux baigné par les flots et le ressac avant de céder la place à une lande presque désertique dominée par la silhouette inquiétante du château ruiné de Ravenswood. L’acte II se déroule dans l’immense salle des gardes du château aux murs recouverts de trophées de chasse, espace étouffant peu propice à l’épanouissement. Puis retour au troisième acte en bord de mer, précisément au cimetière où reposent les ancêtres d’Edgardo. Cette scénographie visuellement puissante apparaît magnifiée par les éclairages de Laurent Castaingt évoquant l’étrangeté des toiles de Caspar David Friedrich. Jorge Jara conçoit des costumes aux reflets et coupes magnifiés, à l’instar de celui de Lucia à son entrée -un costume d’amazone doté non d’une robe mais d’un pantalon-, reflet d’une certaine émancipation hélas vite balayée de la jeune femme. L’intensité dramatique toutefois aurait pu être encore accentuée, en dehors de quelques moments forts comme les scènes régissant les rapports conflictuels entre Enrico et sa sœur -il n’hésite pas à la frapper afin de l’obliger à céder et accepter le mariage avec Arturo-, ou celle voyant Edgardo se précipiter dans les flots à l’annonce de la mort de sa bien-aimée.
Dans le rôle-titre, Olga Peretyatko apparaît manifestement en méforme. Que ce soit dans son air d’entrée Regnava nel silenzio ou celui de la Folie, la voix demeure un peu opaque, voire mécanique dans ses effets, roulades ou trilles certes techniquement maitrisés, mais sans réelle intensité, sans cette démesure qui caractérise le rôle. De plus, le suraigu final est émis de façon hypothétique et surtout fort douloureusement.
Ismael Jordi en Edgardo fait valoir un timbre suave, aux couleurs expressives, une voix puissante sans excès. Son air du troisième acte convainc le public. Mais comme pour sa partenaire, l’implication de chaque instant fait un peu défaut. La passion n’illumine guère le fameux duo du premier acte.
Tout au contraire, Artur Rucinski semble tout oser dans le rôle d’Enrico : voix de baryton forte et sonore, peu sensible à la nuance comme le révèle son air du premier acte, aux forte puissants. Il tient la note finale de très longues secondes avec une rare facilité, mais de façon péremptoire, voire démonstrative.
La basse Nicola Ulivieri dispose de moyens bien charpentés et vigoureux pour le rôle du confident Raimondo, tandis que le ténor Enrico Casari peine un peu dans les interventions ingrates d’Arturo tout comme Maurizio Pace (Normanno, Abdallo). La solide mezzo-soprano Valentine Lemercier retrouve le rôle de la suivante Alisa déjà interprété à plusieurs reprises au cours de sa jeune carrière. Il sera possible de la réécouter avec plaisir dans le rôle d’Adele au sein de la brillante distribution du Pirate de Bellini présenté en version de concert à l’Opéra Garnier de Paris en décembre prochain.
La direction d’orchestre de Roberto Abbado constitue un aboutissement musical. Raffinement des lignes, des climats, chatoyance des couleurs, précision jamais froide mais totalement respectueuse de la partition de Donizetti, le plaisir du public apparaît sans nuage. L’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo répond instantanément à ses attentes et de façon convaincue, tout comme les Chœurs impeccablement préparés par leur chef, Stefano Visconti. La partie de harpe remporte les suffrages d’un public conquis, tout comme le grand spécialiste de l’Harmonica de verre, Sascha Reckert, qui apporte un soutien sans faille à la Lucia d'Olga Peretyatko.