Juan Diego Flórez enflamme la Philharmonie
Le programme reflète l’évolution du ténor péruvien qui, prenant des distances avec le répertoire belcantiste (aucun air de Rossini n’est programmé), se tourne dorénavant vers un répertoire romantique plus lyrique. La première partie du récital est consacrée à Verdi avec des extraits de Rigoletto, Attila, I Lombardi, I due Foscari, et La Traviata. Le programme traduit également la générosité de l’artiste qui, faisant la part belle aux pièces vocales, interprète ensuite trois extraits d’opérette de Franz Lehár (Le Pays du Sourire, Paganini et Giuditta), l’air de Werther de Massenet (Pourquoi me réveiller), celui de Don José dans Carmen de Bizet (La fleur que tu m’avais jetée) et conclut par Che gelida manina, air de Rodolfo dans La Bohème.
L’art de Juan Diego Flórez séduit l’auditoire à plusieurs titres. Son legato doux et sensuel, obtenu par sa façon d’interpréter les intervalles, de chanter entre les notes, teinte son chant d’une grande sensibilité. De plus, il atteint les aigus dans chaque air avec une assurance impressionnante, sollicitant l’énergie corporelle projetée vers le public, en étant bien conscient de leur importance : « Il ne faut surtout pas oublier de bien faire les notes aiguës, car finalement, un ténor est fait pour les notes aiguës ! »
Récital Juan Diego Flórez [Jader Bignamini, Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz Juan Diego Flórez]@philharmonie pic.twitter.com/CjCKqfxDjm
— Adalbéron Palatnīk (@adalberon_pala) 18 novembre 2019
Avec la maturité, sa voix s’est développée dans le médium, lui permettant de déployer un phrasé intense et expressif dans l’air de Don José. Cependant, son interprétation lissée, manquant d’appuis et son émission souvent allégée amenuisent quelque peu l’ardeur d’Alfredo lorsqu’il exprime à la fois son bonheur de vivre avec celle qu’il aime ainsi que son inquiétude vis-à-vis d’une situation presque trop parfaite. Ardeur qu’il retrouve cependant dans la cabalette (petite reprise ornée), favorisée par des aigus brillants vers un contre-ut final insolent.
Les opérettes de Franz Lehár lui offrent davantage de possibilités de nuances (Küss, un baiser pianissimo) sans qu’il ne parvienne totalement à libérer le phrasé qui demeure tenu et sage. Son charme opère lorsqu’il cherche la plus belle de toutes les femmes dans le public dans l’air de Giuditta, et lorsqu’il incarne le Duc de Mantoue (Rigoletto). Mais c’est avec Werther que le ténor subjugue visiblement l’auditoire, convoquant dans un français impeccable les sentiments contrastés éprouvés par le héros. Dans une douceur très intériorisée, il évoque son amour et le souvenir des caresses, intensifiant progressivement son chant lorsque les orages, tristes présages, sont suggérés. Il s’élève contre son destin (Pourquoi me réveiller) d’un aigu projeté et sûr, pour conclure (Au souffle du printemps), résigné, dans un sostenuto (soutenu) suave, déclenchant l’ovation du public.
Le chanteur vedette est accompagné par l’orchestre Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz qui a la particularité d’être un orchestre nomade, sans résidence permanente, apportant la musique au public dans le Land de Rhénanie-Palatinat et au-delà (fêtant cette année le centième anniversaire de sa création). Sous la direction de Jader Bignamini, la phalange délivre des pages orchestrales à un tempo soutenu en favorisant l’aspect brillant et clair (ouvertures de Nabucco et d’Un giorno di regno) sans éviter le clinquant dans la Marche hongroise extraite de La Damnation de Faust de Berlioz. Si le chef reste attentif à l’équilibre voix/instruments, il néglige quelque peu la précision d’ensemble et la justesse ainsi que l’homogénéité des violons qui font valoir un son aigrelet très perceptible dans le prélude de l’acte I de Traviata et dans l’Intermezzo de Cavalleria rusticana de Mascagni.
Avec Juan Diego Flórez, un concert ne s’arrête pas à la fin du programme annoncé et, infatigable, il gratifie le public de sept bis. S’accompagnant à la guitare, il interprète des tubes sud-américains dont les fameux Besame mucho et Cucurrucucú aux aigus filés délicieux. Avec l’orchestre il entonne Granada, la rose à la main, plaisantant avec le chef d’orchestre qui finit, lui aussi, par sortir une rose pour s’en servir en baguette de direction. Ce marathonien de la voix achève la soirée avec Nessun dorma, extrait du Turandot de Puccini devant un public debout, clamant haut et fort son enthousiasme.