Michael Fabiano et Nicole Car en second cast de Don Carlo à l’Opéra Bastille
Décidément, les temps changent, vite. Après avoir été bousculé en 2017 lors de la présentation de la version originale de Don Carlos sur cette même scène, Krzysztof Warlikowski reçoit au soir de la première de cette seconde distribution un accueil beaucoup plus consensuel et favorable de la part du public. La présence de grands chanteurs lui confère une dimension presque épique à défaut de pleinement convaincre sur la totalité de la représentation.
Au rang de l’exceptionnel (comme en témoigne l'accueil fait par le public), l'incarnation d'Anita Rachvelishvili en Princesse Eboli tutoie les sommets (comme les profondeurs vocales). Son chant impérieux et impérial emplit l’Opéra Bastille avec une facilité déconcertante. Sa voix de mezzo-soprano au charme vénéneux défie les redoutables pièges tendus par Verdi jusque dans les extrêmes, quitte à accentuer le grave et ses résonances. En dehors des grands élans vocaux impressionnants de l’Air du voile ou plus encore avec O Don fatale, l'auditeur admire perceptiblement la façon dont elle module toute la partie centrale de ce dernier air, dans un legato modèle.
René Pape, bien qu’un peu en méforme ce soir, campe un Filippe II qui joue pleinement le jeu voulu par le metteur en scène, accentuant les aspects décadents du personnage, ici manifestement aviné. Le face à face avec le Grand Inquisiteur incarné par la basse imposante Vitalij Kowaljow, donne la pleine mesure de ces artistes, le potentiel de leur souffle commun, les intensité de phrasés comme d'incarnation.
Le Posa d’Étienne Dupuis impose sa sincérité et sa noblesse. La voix s’élève avec facilité et musicalité, sans pour autant jouer le caractère poignant ici attendu. Les rôles secondaires permettent d’apprécier Le Comte de Lerma de Julien Dran, dont la voix de ténor passe sans peine, Eve-Maud Hubeaux, Tebaldo bien présent, Tamara Banjesevic qui possède le côté virginal de la Voix du Ciel. Le Frère de Sava Vemic semble par contre un peu fâché avec la justesse.
René Pape & Étienne Dupuis | - Don Carlo par Krzysztof Warlikowski (© Vincent Pontet / Opéra national de Paris) |
S’insérer au sein d’une distribution ainsi rodée, n’est certes pas des plus aisés. D’une rare élégance scénique, dotée d’un magnifique port de tête, Nicole Car y parvient sans réserve. Elle confère à Elisabeth une dimension tragique et presque désespérée. Sans jamais forcer ses moyens de soprano lyrique, elle illumine constamment sa ligne de chant qu’elle conduit avec art et persévérance. L’aigu ou la demi-teinte resplendissent, ajoutant à l’harmonie d’ensemble. Elisabeth requiert toutefois à plusieurs reprises des accents plus chatoyants, une intensité expressive autre, un médium voire un grave plus déterminés, que ce soit dans le duo passionné avec Carlo au deuxième acte ou dans l’air si attendu du cinquième acte, Tu che le vanita, qui garde ici un côté lisse.
Comme Michael Fabiano le précisait dans l’interview accordée à Ôlyrix avant de débuter dans cette production, il adhère à la vision du personnage de Don Carlo défendue par Krzysztof Warlikowski au point de se l'approprier : celle d’un homme et d’un fils à la limite du déséquilibre, de la folie. De fait, il accentue beaucoup la gestuelle, les déplacements du personnage, quitte à paraître plus extériorisé que profondément convaincu. Cette approche rejaillit sur son chant même qui pourrait gagner en harmonie et en souplesse. La voix est certes large, l’aigu brillant, l’implication indéniable, mais le raffinement dans la ligne doit laisser poindre l’extrême sensibilité de ce personnage, ici un peu affectée par toutes ces manifestations physiques. De fait, les duos avec Elisabeth marquent un certain décalage au plan esthétique.
La direction musicale de Fabio Luisi ravit évidemment et à l'évidence par son intensité et l’élévation qu’elle donne à la musique de Verdi sur l’ensemble de ses aspects. L’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra s‘avèrent irréprochables dans tous les paramètres sonores et dramatiques.
Un second cast à l’affiche de l’Opéra Bastille pour une semaine encore : réservations.