Les Amants magnifiques de Molière et Lully, pétillants à l’Opéra de Reims
L’œuvre demande de francs caractères ; ce sont ici les acteurs de la troupe « Les Malins Plaisirs » qui rendent efficacement le texte, ses tournures et ses intrigues, par une diction et déclamation intelligibles des tournures anciennes de la langue. La rivalité amoureuse entre deux Princes convoitant une Princesse, dans une Grèce antique bucolique, semble apparemment loin des tragédies lyriques de Lully et des comédies de Molière (bien que l’auteur glisse une nouvelle critique des faux savants et prophètes en moquant l’astrologue du roi -qui fera perdre le Prince qu’il devait faire vaincre). « Les Amants magnifiques » triomphant par leur grandeur d’âme et leur générosité, font ainsi écho aux grandes figures de l’œuvre de Molière. Pierre-Guy Cluzeau, dans le rôle en apparence secondaire de Clitidas (un "suivant" de Cour attaché à la Princesse) campe ici un meneur de jeu brillant de faconde et de virtuosité, rappelant Sganarelle ou Scapin, Marie Loisel sait donner à Ériphile (la princesse convoitée) une touchante luminosité dans ses tiraillements entre le cœur et la raison, avec une voix sonore et riche en couleurs, digne des traditions théâtrales révolues.
Les costumes d’Érick Plaza-Cochet et décors de Claire Niquet, usant de techniques anciennes et modernes, avec des éléments simples, rappelant Jules Verne, Mary Poppins, mais également à l’imagerie baroque, allient goût et fantaisie, contribuant amplement à l’enchantement d’un spectacle bondissant, frais et réjouissant.
L’œuvre marie Les Amants magnifiques, comme elle marie jeu, danse et musique. Les acteurs des « Malins plaisirs » sont dirigés par Vincent Tavernier, grand artisan-magicien comme il sied à ce spectacle fait pour éblouir par la synergie des arts. Les danseurs de « l’Éventail » sont dirigés par Marie-Geneviève Massé à travers les danses anciennes, sans se priver de moments burlesques ou de caractère, vifs, élégants, drôles et brillants. Pour la musique, « Le Concert Spirituel » est dirigé avec maestria par Hervé Niquet. À la tête de son ensemble instrumental, le chef trouve le ton alerte qui entretient le divertissement et le juste tempo dans une énergie communicative de légèreté et de plaisir.
Il s’est également choisi une équipe de jeunes chanteurs qui interviennent donc dans les divers intermèdes musicaux au fil de l’œuvre. Le pupitre féminin est riche de trois couleurs complémentaires de mezzos. La mezzo-soprano Margo Arsane s’élevant avec douceur vers les aigus légers d'une Climène sonore et claire, en correspondance avec la mezzo contralto Lucie Roche asseyant une ligne intense et longue, noblement protocolaire. Marie Favier complète le spectre sonore par une étendue polychrome, ne se privant ni de mixer la voix ni de poitriner dans le grave, afin de conférer à Caliste une dimension lyrique. Les voix sont également impliquées dans le jeu de scène, chez mesdames comme chez messieurs. La légèreté des caractères et des chants de Clément Debieuvre et Stephen Collardelle tirent leur registre de haute-contre vers celui de contre-ténor (restant en voix de tête, ils font alors davantage référence à la tradition italienne dans la lignée des castrats qu’à celle du ténor français sachant s’élever vers l’aigu, demandée ici). Descendant vers le grave, avec leur registre autrefois nommé « tailles » et leur articulation sculptée, Laurent Deleuil déploie progressivement une puissance lumineuse et David Witczak (à retrouver pour Acanthe et Céphise de Rameau au TCE) creuse ses larges graves (utiles pour prêter renfort aux deux basses, Geoffroy Buffière métrique et Thibault de Damas clairement dessiné par la conviction).
Le public venu très nombreux acclame le spectacle de trois heures, qui seront passées dans la fascination.