Langueur amoureuse de Rossi par Jaroussky, Scheen, Pluhar et L’Arpeggiata
« Rossi, c’est un de mes premiers
amours ! », déclare Christina Pluhar, témoignant de son
attachement particulier pour ce compositeur italien de la première moitié du
XVIIe siècle, harpiste comme elle. Grâce à sa passion pour la recherche et son
travail musicologique, elle redonne vie à des manuscrits inédits de Rossi et,
avec son ensemble L’Arpeggiata, conjugue
rigueur historique et grande liberté d’improvisation. Un attachement qu’elle
tisse également avec les interprètes Céline Scheen et surtout Philippe Jaroussky,
leur première collaboration remontant à une vingtaine d’années.
Compositeur d’opéras italiens appréciés (Orfeo et Il Palazzo Incantato), Rossi était également admiré pour ses compositions vocales de chambre dans le goût tendre et élégant de l’époque sur le thème de l’amour profane et des tourments incessants qu’il génère. L’homme y est en proie à une grande faiblesse et à une langueur extrême, que la voix de Philippe Jaroussky incarne au plus près. La douceur de son timbre clair offre un matériau idéal pour dépeindre l’accablement de l’amoureux dans des airs charmants (M’uccidete, begl’occhi - Vous me tuez, beaux yeux). Accompagné d’une jalousie dévastatrice, l’amour y est décrit comme un tormento, un crucio eterno, un purgatorio alfin peggio è d’inferno (un tourment, un calvaire éternel, un purgatoire pire que l’enfer) déclamés par le contre-ténor très impliqué, ponctuant son discours de mouvements de tête éloquents. Plus fragile dans son registre grave lorsqu’il n’est pas poitriné, l’aigu est néanmoins aisé et atténue à volonté. Son art de l’ornementation exprime à merveille la langueur.
Il est rejoint par Céline Scheen pour des duos dans lesquels ils mêlent leurs soupirs et leurs tourments dans une vibration et un phrasé communs. La soprano, spécialiste de ce répertoire, communique une grande joie en interprétant cette musique et n’a de cesse de remercier les instrumentistes en leur envoyant des baisers au moment des saluts. Son timbre très défini délivre la musique dans une infinité de couleurs, flottant sur l’ostinato (ligne de basse répétée) des chaconnes. À l’intérieur des phrases, le vibrato est nuancé, sa voix s’enfle ou au contraire s’amenuise jusqu’au silence. Bien que son italien soit peu compréhensible (dû à des consonnes peu sonores), elle convainc par un engagement sans faille et une souplesse remarquable, qui lui permet d’orner et de vocaliser aisément.
La réussite de la soirée repose également sur l’implication des instrumentistes de L’Arpeggiata, (nom d’une toccata du théorbiste Girolamo Kapsberger), ensemble fondé par Christina Pluhar dans les années 2000, fédérant des artistes autour de projets riches et variés. Le son de l’ensemble constitué autour des cordes pincées (clavecin, archiluth, théorbe, harpe, psaltérion, guitare baroque) est caractéristique. Il est enrichi par deux violons, deux violes de gambe, un violoncelle et un cornet. Assise de dos et jouant du théorbe, la cheffe est attentive à la cohérence de l’ensemble tout en laissant chacun s’exprimer en improvisations lors des nombreuses chaconnes du programme. Tous sont des musiciens confirmés, rompus à ce style de musique prébaroque. La prestation du corniste Doron David Sherwin impressionne notamment, qui obtient de son instrument un son rond, suave et très juste ainsi qu’une ovation du public.
La langueur amoureuse se poursuit avec en bis le duo Pur ti miro, extrait du Couronnement de Poppée de Monteverdi, après que Christina Pluhar ait évoqué la terrible date anniversaire de l’attentat au Bataclan (il y a quatre ans). Elle poursuit en évoquant l’ajout d’une statue de cire à l’effigie de Jaroussky au musée Grévin. Ce dernier prévient le public de sa prochaine cryogénisation et conclut la soirée avec la berceuse Ninna Nanna, preuve qu’il est encore bien vivant.