Eisenstein et Prokofiev, Alexandre Nevski en ciné-concert à la Cité Musicale de Metz
La « croisée des arts » creusée par l’orchestre et les chœurs, touche à l'évidence ici à travers le film Alexandre Nevski, fruit d'une collaboration étroite entre le réalisateur Eisenstein et le compositeur Prokofiev. L’un retravaillait ses scènes en fonction de la musique de l’autre, l’autre retravaillait ses partitions en fonction de la scène tournée. Le résultat, chef-d’œuvre légendaire qui fit les beaux jours de la propagande soviétique en 1938, est ici projeté avec l’intégralité de la bande-son du film interprétée en direct (non pas avec la version sous forme de cantate construite par Prokofiev à la suite du film).
L’Orchestre National de Metz est secondé dans l’exécution de cette bande originale de film par le Chœur Nicolas de Grigny, préparé par Jean-Marie Puissant. La mezzo-soprano Anna Destraël fait une intervention courte mais remarquée à la fin de l’œuvre, pour l’émouvant chant des morts, celui qui suit la bataille sur le lac gelé. Le vibrato presque continu de la mezzo-soprano accentue le caractère bouleversant de la scène. Les mediums assurés renforcent des aigus au timbre velouté, douloureux mais quasi-consolateurs, à la portée puissante.
Le Chœur Nicolas de Grigny fait preuve d’une constance permanente, à l’épreuve de toutes les batailles. Le premier chant patriotique enveloppé d’une couleur intrinsèquement russe fait la part belle aux basses. À l’appel aux armes de Debout, peuple russe !, l’unisson des tessitures, très puissantes, est renforcé par les percussions et les cuivres, créant, avec l’image ciselée d’Eisenstein, une atmosphère à la fois glorieuse, lumineuse et martiale. La ferveur religieuse de l’ennemi germanique est elle aussi pleinement appropriée par le chœur.
Retrouvant l’Orchestre National de Metz, Jacques Mercier, concentré sur l’écran qui lui indique les minutes du film, se laisse prendre au jeu des acteurs et lève de temps en temps les yeux de son pupitre lorsque les scènes sans musique font attendre l’orchestre. Une fois la musique revenue, il propose une direction à la fois fougueuse et millimétrée dans les tempi, collant parfaitement à l’image.
Une fois n’est pas coutume, les percussions se taillent une place de choix dans cette œuvre. Le tambour continu, battu avec sûreté, apporte, dans cette exécution en direct, un effet de réalisme puissant au moment de la bataille, la cavalcade des chevaux semblant près de transpercer l’écran. Lorsque les troupes ennemies s’enfoncent dans le lac, les percussions magnifient le chant des éléments, celui de la glace qui se disloque lentement dans un bruit d’eau et de déchirement sourd.
Les cloches des églises orthodoxes résonnent sur scène avec netteté. Le jeu des correspondances entre musique et image est renforcé par les cuivres. Au moment où la caméra se resserre sur les visages des guerriers, l’intensité de leurs regards est magnifiée par les lignes mélodiques des instrumentistes. L’angoisse qui sourd avant la bataille est prégnante par la prise de note des violons au talon de l’archet. Flûtes, hautbois et clarinettes virevoltent pendant la bataille, en intelligence avec l’effet comique produit par les armes qui s’abattent sur les casques des armées ennemies.
Quelques très courts passages du film, conservés sans intervention de l’orchestre, laissent entendre le son grésillant de la bande-son originelle, et permettent au public reconnaissant par ses ovations de prendre la pleine mesure du spectacle qui lui a été offert.