La Périchole dynamique traverse les époques en Avignon
L’ancien Directeur de l’Opéra de Nice, Éric Chevalier, supervise également
les décors et lumières de cette version colorée et dynamique, dans
l’ensemble. Principalement grâce aux chorégraphies (Éric
Belaud) : mouvements de foules et déplacements entraînants qui
emplissent la scène, ou bien des pas de danses exécutés par des
solistes. Cependant, lorsque le plateau ne danse pas, certaines
scènes ont de fait tendance à retomber dans un certain statisme.
Le
décor simple, composé de trois murs mobiles, est positionné en
arrière-plan et fait progresser dans le récit. L’histoire est
restituée dans une époque aristocratique (notamment dans un couloir orné de portraits caricaturaux du vice-roi) avec quelques clins d’œil
sérieux ou comiques sur l’actualité, rebondissant sur des jeux de
mots (de quoi évoquer Gérard Depardieu pendant le drame du couple, ou citer "Libérée, Délivrée !" de La Reine des neiges), proférés
entre deux murs tagués (pour illustrer le travail des
saltimbanques). La fin du spectacle réunit période d’époque et
modernité au risque de les confondre (et le spectateur avec) :
le chœur apparaît dans ses vêtements d’aujourd’hui, comme pour
une grève spontanée en pleine représentation, et il encadre les
solistes, toujours dans leurs costumes du XVIIIème siècle. Cette
fin, nous explique le metteur en scène, s’avère être un hommage aux habitants des bidonvilles de
Lima, ville où est situé cet opéra bouffe et où manifestent actuellement les habitants.
La
distribution principalement française offre des voix bien adaptées
à la musicalité d’Offenbach. La Périchole est interprétée avec
séduction par la mezzo-soprano Marie Karall (dont il s'agit de la prise de rôle). Voix mélodieuse
jusqu’à son texte parlé, le timbre large et rond de la chanteuse
s’accorde et s’équilibre avec un jeu scénique amusant et
humble. Jusqu’à l’émotion dans son air "Ô mon cher amant,
je te jure". L’amant qu’elle quitte alors, Piquillo, offre
une incarnation hantée par la faim et la misère mais pourtant pleine
de brillant grâce à Pierre Derhet. Le mélange des caractères,
typique de ce répertoire qui met une couche de rire par-dessus le
drame, s’accorde aussi vocalement chez ce ténor : avec
finesse et audace, il élargit son potentiel au fur et à mesure, la
voix pure et légèrement timbrée demeurant juste et contrôlée.
Habitué de l’opérette, le baryton Philippe Ermelier montre son aisance en Vice-roi Don Andrès de Ribeira. Très caractérisé, le timbre éclatant et mûr, ses paroles clairement prononcées amusent les auditeurs, charmés par ce gentil personnage attaché au pouvoir. Les deux pittoresques sujets de son altesse, Don Miguel de Panatellas et Don Pedro de Hinoyosa, sont assurés par le ténor Enguerrand de Hys et la basse franco-italienne Ugo Rabec. Le ténor se montre bien présent dans ses actions, déployant une voix ancrée et lyrique. Son compagnon attire le public par son personnage amusant. Cependant, la diction peu compréhensible rend difficile de suivre son texte.
Les
charmantes cousines et demoiselles d’honneur sont attribuées aux
soprani Ludivine Gombert (vive, au timbre léger et gracieux en
Guadanela/Manuelita) et Roxane Chalard (coquette ornée d’une voix
mielleuse et lumineuse en Berginella/Brambilla), la mezzo-soprano
Christine Craipeau (Mastrilla/Frasquinella) dotée d’un timbre chaud
et doux, ainsi que la soprano Marie Simoneau (Ninetta) qui exclame
ses notes d’une voix dirigée et passionnée.
Formant un duo de notaires affirmés, à travers leurs courtes phrases, les ténors Olivier Montmory et Pierre-Antoine Chaumien offrent respectivement une musicalité dévouée et des lignes affirmées. Le baryton Alain Iltis est un énergique Marquis de Tarapote. Petit rôle mais avec des interventions tout au long du spectacle, l’acteur Jean-Claude Calon endosse le rôle du vieux prisonnier par un jeu attrayant et attachant. La basse Xavier Seince joue le court personnage du geôlier, déterminé et appuyé vocalement pour surveiller activement Piquillo dans sa prison.
Enfin, les courtes interventions des basses Saeid Alkhouri ("un gros buveur" dont la voix porte jusqu’aux choeurs), Pascal Canitrot ("un maigre buveur" mais ancré vocalement), Thibault Jullien (l’huissier bien présent) et du ténor Julien Desplantes (un courtisan, simple et actif) sont notables.
À ce panel s’ajoute le Chœur de l’Opéra Grand Avignon, préparé par Aurore Marchand, qui dynamise les scènes et soutient les moments forts de la narration. Les quelques apparitions du Ballet de l’Opéra Grand Avignon apportent l’esprit dansant espagnol. Prenant la tête de l’Orchestre Régional Avignon-Provence, le chef d’orchestre Samuel Jean se montre un peu tendu avec une battue un peu raide et minimale, mais il n’en est pas moins bienveillant avec l’ensemble des musiciens et des artistes. Les mélodies et les rythmes sont rendus avec précision, dans la richesse de timbres : la plus éloquente des preuves en est que le public, après avoir fait un grand succès à ce spectacle, repart en fredonnant les airs entraînants de la partition.