Ernani de Verdi, Lyon et l'Italie au Théâtre des Champs-Élysées
Pour la première fois par cet opéra de jeunesse créé en 1844 à la Fenice, Verdi s'impose sur tous les plans, choisissant son librettiste, Francesco Piave, ses interprètes, et un sujet grandiose, Hernani de Victor Hugo adapté malgré l'interdiction de l'écrivain. La difficulté de l'entreprise est donc de transmettre ce drame de jeunesse sans donner dans un pathos grandiloquent et désuet. L'Orchestre de l’Opéra National de Lyon, pleinement stimulé par Daniele Rustioni, sait en restituer la puissance et la finesse, dès l'ouverture. Les signes de tête et les gestes délicats ou vigoureux du chef d'orchestre sont sans équivoque : les cordes nerveuses se font vibrantes, d'une intensité électrique, les soli des vents ont une mélancolie qui n'est pas sirupeuse, la timbale sourdement menaçante renonce à tonitruer. Les auditeurs ne sont pas submergés par une débauche de moyens, mais séduits par un savant usage de toutes les potentialités du foisonnement verdien.
Objet du litige car convoitée par trois hommes, Elvira est interprétée par la soprano Carmen Giannattasio dont la voix charnelle, ample et onctueuse, allie agilité vocale et puissance dramatique du “lirico spinto” (lyrique appuyée), même s'il lui arrive parfois de manquer de justesse. Dans le rôle-titre, Francesco Meli, qui a déjà incarné Ernani à Rome, New York et Salzbourg, parvient, malgré l'évidente sollicitation des aigus de bravoure, à avoir la grâce nécessaire dans les déchirants pianissimi du jeune et intrépide héros.
Don Carlo, le baryton, est une voix verdienne qui s'impose parmi les références actuelles (après avoir remplacé Leo Nucci en Nabucco, faisant déjà en novembre dernier le voyage de Lyon à Paris) : le prodigieux Amartuvshin Enkhbat donne une majesté, une couleur et une sensualité captivantes à ce personnage impérial dont l'acte de clémence est plus que crédible. Entraîné vers des hauteurs superlatives par une brusque élévation du registre, il est ovationné par le public.
Roberto Tagliavini, une basse noble non moins d'exception, est un Silva salué avec le même enthousiasme, car impressionnant de noirceur trop humaine. Sa diction fluide et son phrasé accomplis, sa voix chaude, sa sensibilité à la fois vive et contrôlée témoignent d'une maîtrise entière. Belle ovation pour lui aussi, qui se prolonge en bravos pour les solistes du Studio de l’Opéra National de Lyon. La Giovanna de Margot Genet a de la présence, des aigus argentins. Bien que féru de Lieder, le ténor breton Kaëlig Boché sait imposer le dynamisme que requiert le rôle de Don Riccardo, tout en étant à l'écoute des autres voix. Enfin Matthew Buswell campe un Iago au lyrisme convaincant. Le chef de chœur avait aussi bien préparé ses troupes, qui entonnent des airs éclatants avec le brio de cuivres et une belle tenue vocale, comme il se doit.
La “bataille d'Ernani” qui à l'époque faisait rage autour de ce romantisme enflammé, annonciateur d'œuvres de génie, n'aura donc pas lieu ce soir. Le public ne boude pas son plaisir et la production unanime est, dans l'esprit de Hugo, « une force qui va » !
Passionnante découverte de #Ernani ce soir @TCEOPERA ! Un rutilant Verdi de jeunesse servi par la direction (trop) survoltée ms efficace & très attentive de Rustioni avec @operadelyon. Meli raide, incapable de nuances, Giannattasio en lambeaux. Extraordinaire Enkhbat, ovationné ! pic.twitter.com/iH2WtqwZld
— Guillaume Giraudon (@Guiguiii94) 8 novembre 2019