La pétillante Manon de Lisette Oropesa en direct du Metropolitan Opera
Laurent Pelly, dont les productions font souvent l’affiche du Met, signe ici une mise en scène efficace et épurée du drame mis en musique par Massenet. L’action est transposée dans les années 1880 (à l’époque de la composition de l’œuvre) comme en attestent les costumes plus que les décors. Le premier acte se déroule -de façon originale- à l’extérieur de l’auberge, le public ne voyant les personnages qu’y entrer ou en sortir, ce qui rend l’intrigue plus claire qu’elle ne peut l’être parfois. À l’acte II, la petite mansarde qui accueille les amours de Manon et des Grieux s’élève grâce à un tortueux escalier de fer, permettant des interactions sur plusieurs niveaux. De la même façon, le troisième acte joue sur plusieurs plans et pans inclinés horizontalement qui permettent aux personnages de déambuler du fond vers l’avant-scène à la manière d’une promenade. Puis, l’église Saint-Sulpice est simplement convoquée à l’aide de trois grands piliers et de rangées de chaises et prie-Dieu qui suivent la pente horizontale de la scène précédente. Au IV, le dispositif synthétise l’escalier et la promenade, et les tables de jeux du Cours-la-Reine ne viennent habiller l’espace que lorsque nécessaire. Enfin, le cinquième acte, tout en dépouillement, accueille en toile de fond un ciel gris, devant lequel Manon souffle ses derniers mots. À cette sobriété élégante se marie le soin apporté à la direction d’acteurs, chère au metteur en scène français, car chaque personnage évolue et se complexifie au fil de la musique, à l’image de l’indécision de la jeune Manon qui parcourt toute l’œuvre.
Attentive et ciselée, la direction de Maurizio Benini insuffle rythme et sensibilité à l’ensemble de l’orchestre du Met et met en avant les individualités au sein des pupitres. Chaque ouverture de rideau est abordée avec délicatesse, l’atmosphère de l’acte à suivre naissant grâce à l’orchestre seul. La même énergie est insufflée aux chœurs, très sollicités par la mise en scène.
La distribution vocale est très homogène en qualité, jusque dans les rôles les plus secondaires. Le trio des comédiennes, Javotte (Laura Krumm), Poussette (Jacqueline Echols) et Rosette (Maya Lahyani) est incarné par chacune avec une vitalité réjouie, tandis que Paul Corona campe un hôtelier rustre et de caractère. Kwangchul Youn, à la présence hiératique, incarne son Comte des Grieux avec autorité et sagesse grâce à sa voix franche et ombrageuse.
Habitué de la scène du Met, Carlo Bosi est l’interprète de Guillot de Morfontaine à qui il prête une voix claire pleine de personnalité. L’évolution de son personnage, de séducteur maladroit tourné en ridicule au dénonciateur cruel est tout à fait convaincue. Brett Polegato s’appuie sur une diction irréprochable du français, sur une ligne solide et homogène pour composer un de Brétigny sensible.
Railleur mais distingué, le Lescaut d’Artur Rucinski réussit presque à rendre son personnage attachant. Si son français est imparfait, il n’en demeure pas moins impliqué scéniquement et sa voix au médium suave peut se modeler selon les intentions ou briller dans l’aigu avec facilité.
Michael Fabiano est un Chevalier des Grieux bouillonnant, totalement investi dans le jeu et dans le chant. Le timbre est séduisant et la voix généreuse, capable de piani délicats et maîtrisés au deuxième acte autant que d’exclamations dramatiques au dernier. L’interprétation de « Ah ! Fuyez douce image » est un peu couverte dans l’aigu mais ne manque pas d’intensité et recueille une salve d’applaudissements chaleureuse.
Manon pimpante et espiègle, Lisette Oropesa chante et interprète le rôle-titre avec une aisance déconcertante. Évoluant avec légèreté sur le plateau, la soprano déroule son chant avec naturel, d’un médium coloré à des aigus souples et sonores. Elle passe avec évidence de l’adolescente indécise à la femme du monde et ses qualités d’interprète s'affirment dès les premiers instants où elle entonne avec juvénilité « Je suis encor toute étourdie » jusqu’aux derniers où, livide, elle semble réellement quitter la vie en titubant. Avec son partenaire masculin, elle est accueillie triomphalement aux saluts, de même que l’ensemble de la distribution.