Marseille célèbre le Gounod nouveau avec La Reine de Saba
Charles Gounod compose La Reine de Saba trois ans après son célébrissime Faust. Bien que la partition comme le livret (dont les textes sont richement rimés) soient moins puissants, l’œuvre réserve de belles pages orchestrales, quelques chœurs permettant d’explorer à la fois la puissance et la délicatesse des artistes, mais aussi des airs somptueux offerts à chacun des trois rôles principaux.
Victorien Vanoosten (déjà impliqué in loco sur la production d'Hérodiade en 2018) dirige l’Orchestre de l’Opéra de Marseille d’un geste souple, sa baguette dansant dans les airs, pétrissant une pâte sonore tendre et noble, ne manquant pas d’éclat. Appuyé avec décontraction sur sa rambarde durant le brûlant solo du premier violon, il sait aussi se montrer insistant lorsqu’il n’obtient pas immédiatement l’effet voulu ou réclamer très en amont l’attention du Chœur de l’Opéra pour un changement soudain de nuance. Ce dernier se montre compact et tranchant, mais peu exact rythmiquement : ce n’est d’ailleurs que lors de ses interventions que le spectateur absorbé se rend compte de la présence d’un surtitrage, celui-ci étant sinon rendu totalement inutile par la diction soignée des solistes.
Karine Deshayes incarne le rôle-titre avec subtilité, alternant la tendresse d’un médium forgé de cuivre chaud ou d’un grave rauque jusqu’à la vigueur d’aigus tranchants, puissants et rapidement vibrés. Le phrasé est très travaillé, de même que la diction (même si elle hésite sur la prononciation du nom de Saliman). Toujours investie dans la musique, elle réagit, même lorsqu’elle ne chante pas, aux accents de la musique ou aux actions des autres personnages. Nicolas Courjal a la voix aussi noble que son attitude est humble. Il exalte l’air de Soliman de sa ligne sûre et soignée s’appuyant sur une présence scénique affirmée et naturelle, de ses graves abyssaux émis sans difficulté apparente, de ses aigus délicats.
Le plaisir que prend Jean-Pierre Furlan à interpréter Adoniram transparaît dès sa première intervention. Sa voix sonore au timbre clair dans l’aigu et corsé dans le médium est d’abord maîtrisée, affirmant la vaillance de son émission et la longueur de son souffle. Hélas, le fil retenant le vibrato se détend au cours de la soirée : mécaniquement, la ligne vocale s’effiloche. Dès lors, les aigus sont forcés, proches de la rupture, donnant au phrasé un son constamment plaintif.
Quelques jours après avoir quitté Uta dans Sigurd à Nancy, Marie-Ange Todorovitch, chante ici Bénoni de son timbre rond et fruité au large mais intense vibrato. Le port fier, un sourire conquérant, elle imprime sa présence à chacune de ses interventions. Eric Huchet, Régis Mengus et Jérôme Boutillier interprètent les trois traîtres, bien ensembles et accordés. Le premier (Amrou) dispose d’un timbre très clair, montrant dans la diction une certaine délectation à distiller la méchanceté de son personnage. Le second (Phanor) se montre tranchant, émettant des aigus sûrs d’un timbre ombrageux. Le troisième, enfin, assombrit un timbre naturellement lumineux et gonfle une lèvre supérieure souvent souriante pour faire émerger un fourbe et haineux Methousaël. Enfin, Eric Martin-Bonnet (Sadoc) délivre un timbre mat largement émis tandis que Cécile Galois (Sarahil) dispose d’une voix tranchante et bien couverte, au large vibrato.
Le public, relativement sage durant la représentation, se montre plus expressif et très chaleureux au moment des saluts.