Massenet et Cléopâtre, de braise et de glace à la Salle Cortot
Quelques semaines avant sa mort, Jules Massenet compose Cléopâtre, son dernier opéra qui ne sera créé que deux ans plus tard, en 1914, à Monte-Carlo. Le propos y est audacieux : la scène dans laquelle Cléopâtre propose de récompenser d’un baiser celui qui boira une coupe de poison appelle par exemple déjà Turandot, qui n’est créé qu’en 1926. La version donnée Salle Cortot par l’association Res Lyrica est une adaptation pour piano, suffisante toutefois pour éveiller la curiosité de l’auditeur, les danses folkloriques (ici chorégraphiées par Ziyi Li) accompagnées de darboukas (jouées avec précision et une attention constante aux équilibres sonores par Marc Pujol), la sensualité des duos avec Marc-Antoine et la profondeur frémissante de la scène finale laissant présager d’une orchestration riche et exaltée.
Les interprètes entrent un à un durant l’ouverture interprétée par Irina Kataeva : devant remplacer un orchestre entier, elle y emploie une vigueur constante, qui ne s’assouplit par des jeux de nuances qu’après quelques scènes. Le toucher se fait alors plus délicat et dévoile plus efficacement les émotions des personnages.
Comme Carmen ou Dalila, autres séductrices vénéneuses, le rôle-titre est incarné par une mezzo-soprano, ici Paola Mazzoli. Si son accent fait perdre quelques passages du texte (le concert n’est pas surtitré), son timbre séduisant dans l’aigu et ardent dans le grave, tout comme son vibrato voluptueux, colorent l’interprétation, qui est par ailleurs bien mise en valeur par un jeu de nuances subtil. Son phrasé lascif ou accentué participe également d’une composition adroite du personnage.
Marc-Antoine prend les traits de Guilhem Souyri. Son grain sombre se colore richement dans des graves chaleureux mais perd son architecture (et sa justesse) dès les mediums sous les assauts d’un large vibrato. Dans l’exigeant rôle de Spakos (amant jaloux attribué à un ténor), Paul Gaugler dévoile une voix ténébreuse aux aigus (de poitrine) fleuris et très couverts, vibrés avec fermeté. Le son produit est agréable mais l’effort requis pour l’émettre le conduit à maintenir une nuance uniformément forte.
Véronique Chevallier est une Octavie à la voix pure et à la projection large, qui gagnerait à être écoutée dans un lieu moins intimiste. Le phrasé est expressif et nuancé, ce qui donne sa contenance au personnage. Claire-Elie Tenet, bien que gênée par une toux persistante, peint une charmante Charmion. Son timbre acidulé est doté d’un vibrato rond et modulé selon les intentions. Enfin, la voix large et charnue d’Arnaud Masclet sert les rôles d’Ennius et Amnhès.
L’œuvre se termine sur un glaçant « C’est affreux, mourir ! ». Un froid et un effroi ressentis à la fois par le personnage principal et par le compositeur lui-même mourant, les émotions de l’un passant à travers l’autre. Le public ravi de cette découverte accueille avec ferveur toute l’équipe impliquée dans ce projet, et qui s’apprête déjà à se lancer dans le suivant : Ariane du même compositeur.