La Loire devient Rio Grande avec L'Arpeggiata à Tours
Les instruments baroques et sud-américains se marient comme les voix (de ces interprètes formés à la musique ancienne) dans ce répertoire traditionnel parcourant Paraguay, Mexique, Venezuela, Argentine. Dans un sentiment d'improvisation généralisée mais savante, les morceaux s'enchaînent. Ce mélange indolence et d'animation met du temps à s'équilibrer, mais se mue progressivement en frénésie.
Les instruments sud-américains se mêlent bientôt aux instruments baroques qui les encadrent. Le cœur de l'accompagnement et du projet repose sur la rencontre entre la guitare baroque et le cuatro ("quatre" en espagnol, comme les quatre cordes de cette guitare qui s'accorde comme sa cousine espagnole Renaissance), tandis que la directrice de l'ensemble, Christina Pluhar, accompagne discrètement au théorbe.
La guitare baroque se gratte aussi en flamenco et s'emballe avec les castagnettes. Le trio contrebasse, cuatro et maracas part dans une exploration de timbres, comme un voyage à travers les sons grattés, étouffés, frottés, caressés, saupoudrés, pleuvant, toujours avec des accents énergiques qui soulèvent d'emblée les applaudissements (redoublant notamment dans le long solo de maracas). Le cornet à bouquin prend un rôle de trompette et saxophone soliste (sans l'agilité mais avec son timbre typique).
Les trois solistes vocaux dansent déjà en s’avançant tour à tour. Les voix sont amplifiées par microphone (lorsque celui-ci oublie de s'allumer, elles sont très peu audibles). Chacun met à la couleur et à la salsa sud-américaine une technique de chant baroque. Vincenzo Capezzuto a une voix de contre-ténor claire et suave. Fermer les yeux donne l'illusion d'entendre une chanteuse de fado, noble et touchante, appuyée (comme pour ses collègues) sur un phrasé dansant. Céline Scheen, soprano baroque, combine les styles en combinant les différentes voix dans son ambitus. Engorgée dans le grave et veloutée dans le médium, ses vocalises sont aspirées mais menées avec agilité.
Également de formation et de lyricographie baroque, Luciana Mancini chante et danse pieds nus, comme un hommage à Césaria Evora (tout comme sa voix). D'autant plus dans le microphone avec son effet radiophonique : la voix devient alors une définition du chant Sud-américain, comme si elle sortait du poste radio d'une vieille voiture à Cuba. La prosodie est énergique, les accents appuyés, les consonnes ouvertes mais longues et stables.
Le baroque hispanique continue de s'enflammer jusqu'au bis, où il se danse en hip-hop, aussi convaincant que pour Les Indes galantes à Bastille (avec bonnet et lunettes de soleil).