Richard Cœur-de-Lion, production 100% versaillaise
Décors (signés Antoine Fontaine) faits de plusieurs pans de toile créant une perspective, riches costumes d’époque (imaginés par Camille Assaf), ballets convoquant une technique des plus classiques (chorégraphiés par Jeannette Lajeunesse Zingg) : la mise en scène de Richard Cœur-de-Lion d’André Grétry par Marshall Pynkoski (qui avait signé in loco la Médée venue de Toronto) définit l’identité donnée à l’institution par Laurent Brunner, son Directeur (qui nous expliquait en interview le choix de l’œuvre), c’est-à-dire un classicisme, cohérent avec le lieu et à l’antipode du modernisme affiché par l’Opéra de Paris (qui propose au même moment une version hip hop des Indes galantes). C’est en effet la première production que Versailles mène sans partenaire (un ou plusieurs coproducteurs, disposant d’ateliers de costumes et de décors étant habituellement associés).
La distribution est homogène, les chanteurs présentant tous une diction irréprochable. Rémy Mathieu est en charge de l’imposant rôle de Blondel. Le timbre est clair et riche (y compris dans les graves), la voix légère et agile, le phrasé très musical. Le bât blesse toutefois sur abattage, le volume restant limité (malgré un corps entièrement tendu par l’effort vocal) et la longueur du rôle générant une fatigue dans ses dernières interventions. Le réflexe de mettre la main sur le cœur en chantant convient dans cette mise en scène et son dynamisme scénique se transmet au reste du plateau. Rôle-titre à la présence scénique limitée, Reinoud van Mechelen appuie son interprétation sur sa voix richement couverte, au timbre lumineux dans l’aigu et corsé dans le médium, et qu’il manie avec virtuosité par un phrasé expressif et ouvragé.
Le choix d’attribuer le double rôle d’Antonio et de La Comtesse, deux rôles importants et dramaturgiquement distincts, à une unique chanteuse crée une distanciation malheureuse. Marie Perbost s’acquitte toutefois de la tâche avec enthousiasme, déroulant un épais tapis vocal au rond vibrato, et beaucoup de naturel dans le jeu théâtral. Il revient à Melody Louledjian (Laurette) de chanter l’air « Je crains de lui parler la nuit » rendu célèbre par sa reprise par la Comtesse dans la Dame de Pique de Tchaikovski (acte II). Sa voix est fine comme sa ligne de chant et pure comme son vibrato.
Geoffroy Buffière est un Sir Williams bonhomme, au timbre mat et à la ligne de chant un peu brute. Capable de remplir l’espace par la projection de sa voix, il se met parfois en retrait et disparaît alors dans les ensembles. Jean-Gabriel Saint-Martin interprète Florestan (mais aussi Urbain et Mathurin). S’il a physiquement un faux air de Ludovic Tézier, la ressemblance s’étend à l’élégance du timbre, brillant et aux belles résonances, même si le volume doit encore s’épanouir. François Pardailhé chante les rôles de Guillot et Charles d’une voix pincée de ténor de caractère, bien assise. Charles Barbier est un Sénéchal au beau phrasé. En Mathurine, Cécile Achille dispose d’un timbre raffiné, mais qui ressort peu du fait d’une projection manquant d’assise, tandis qu’en Colette, Agathe Boudet montre de l’explosivité dans l’interprétation, mais un phrasé manquant de liant. Enfin, Virginie Lefèvre est une Beatrix volontaire et gouailleuse.
Placé au centre de son orchestre du Concert Spirituel (obligeant du coup certains instrumentistes à tourner le dos au public), Hervé Niquet offre un son homogène et quelque peu suranné (très cohérent avec le lieu et la mise en scène) dans une interprétation vivace. Le chœur dynamique se montre cohérent dans son interprétation, mais laisse retomber les fin de phrases, qui manquent dès lors d’éclat.
Les saluts se font en musique et sous les battements de mains d’un public enthousiaste. Comme la musique, le décor est léger : il ne reste plus à cette production qu’à voyager.