Chants d’Auvergne par son Orchestre national aux Invalides
Le programme concocté par le chef espagnol Roberto Forés Veses révèle des choix intimistes. En effet, ce « Voyage musical », comme est intitulée la soirée, livre dans une première partie le Souvenir de Florence de Tchaïkovski -ici dans une version élargie pour orchestre à cordes-, et dans une seconde huit Chants d’Auvergne, recréés par le compositeur et ethnomusicologue Joseph Canteloube. Plus qu’un récit de voyage, il s’agit ici davantage de réminiscences chez les deux compositeurs. Tchaïkovski compose en effet son sextuor Souvenir de Florence à son retour en Russie après un séjour à Florence. Il en rapporte des impressions, les quatre mouvements de sa pièce ressemblant alors à des tableaux, comme des touches italiennes mêlées à des inspirations russes. Joseph Canteloube part lui des mélodies traditionnelles entendues dans le centre de la France, mais il compose ses Chants comme des pièces mêlant traditions et modernité, le matériau initial n’étant qu’un prétexte à la composition. Dans sa pièce « Lou boussu », se retrouve ainsi une petite tendance Belle Époque.
Carnets de souvenirs transalpins
Cette omniprésence du souvenir dans la musique de Canteloube est portée par la voix toute particulière de Karen Vourc’h. En effet, la soprano utilise son timbre pur, voire presque cristallin, pour des compositions qu’on imagine chantées par une jeune bergère des Monédières (comme dans « La pastoura al camps »). Ses vocalises perdent quelques fois un peu de précision et de tenue, mais elles recréent une forme de « brume des souvenirs ». L’intention que met Karen Vourc’h dans son chant, la mène presque à danser au son du violon traditionnel de Guillaume Chilemme dans « Lo calhe ». Si l’orchestre montre dans la première partie une grande énergie, avec un travail des couleurs dès le premier mouvement du Souvenir de Florence (en particulier chez l'altiste solo Cyrille Mercier), il couvre trop souvent la voix de la soprano dans les Chants d’Auvergne, notamment dans les registres graves qui conviennent moins au timbre de la chanteuse. Malgré tout, l’harmonie voix-instruments s'appuie sur toute la finesse des enchaînements du triptyque hautbois/violoncelle/voix, en duos tour à tour, dans « La Délaïssado », où le jeu du hautbois, entre puissance et douceur, trouve tout son sens dans la pureté de celui de la soprano, qui excelle dans les aigus.
Le talent de Karen Vourc’h, qui délaisse le vibrato pour privilégier un ton plus simple, s’exprime alors dans toute sa splendeur avec un chant arménien du Père Komitas, puissant et chaud. Le public de la Cathédrale Saint-Louis aura ainsi traversé l’Europe du Duomo au Roman Auvergnat, en passant par les chapelles orthodoxes oubliées des forêts de Khosrov.