L'Opéra des Lumières au Louvre
C'est un véritable projet musical qui est en train d'aboutir, à savoir la redécouverte des six symphonies “parisiennes” de Haydn entreprise par Julien Chauvin. L'enjeu étant de ne pas les enchaîner de façon routinière au fil des saisons, mais de gagner le public à une symphonie moins connue, la n°84 en mi bémol majeur, souvent restée dans l'ombre de ses brillantes sœurs que sont la 82, la 83 et “La Reine”, que Marie-Antoinette joua dans sa prison. Moins grandiose peut-être, la n°84 se distingue par sa délicatesse et par la singularité de son orchestration. Le Concert de la Loge est dirigé avec autant de précision que de fougue par Julien Chauvin qui révèle, voire réinvente la richesse instrumentale de cette partition – avec un petit bémol : qu'il ait morcelé la symphonie en l'entrecoupant d'airs tragiques qui ne s'y accordent guère.
Original comme toujours, le choix des compositeurs du récital semble vouloir réconcilier l'héritage de Gluck et la veine italienne de Sacchini tout en évoquant l'arrivée à Paris de ces artistes étrangers qui se sont rapidement acclimatés et parfois influencés : Grétry subit fortement l'ascendant italien, et Johann Christoph Vogel parvient à susciter la curiosité même s'il ne s'adonne pas à un lyrisme effréné. Gluck garde toute son émouvante singularité, sensible dans “Fortune ennemie”, le grand air d'Orphée et Eurydice qui lui valut un succès sans précédent malgré l'absence de vocalises à l'italienne.
Mozartienne d'ailleurs férue de Haydn, Sophie Karthäuser est en pays de connaissance. La soprano d'origine belge sait imposer une interprétation pleine de finesse, à la ligne vocale bien articulée. Sa musicalité lui permet d'être en osmose avec l'orchestre, et donc en place sur le plan rythmique. Sa voix au timbre chaud renonce souvent à chanter fortissimo au profit d'une puissance expressive pleine de souplesse. Le public sent son engagement total et toujours subtil : elle se garde de pousser chaque détail à son paroxysme tout en conservant une profondeur impressionnante, notamment dans la Phèdre de Lemoyne (qu'elle a contribué à remettre à l'affiche en compagnie du Palazzetto Bru Zane), avec sa tension croissante quoique économe –à l'image de la tragédie de Racine. Les auditeurs n'en sont que plus saisis par le cri déchirant qu'elle pousse dans Les Mariages samnites du Liégeois André Grétry, ou le violent “Non !” de la Chimène de Sacchini.
Par
ses
applaudissements, le
public
juge
réussi
le pari de Julien Chauvin : il parvient à passionner des auditeurs
peu familiers de cette symphonie et de ces airs méconnus malgré
leurs échappées de vues vers
le romantisme.
Son interprétation alliée au sens
dramaturgique et au brio de
Sophie Karthäuser, n'est jamais gourmée : un modèle de vivacité
naturelle et d'esprit.