Cosi fan tutte, tous ensemble à l'Opéra de Tours
Gilles Bouillon situe l’action dans les années 1950, avec son lot dès lors habituel de décalages entre ce qui est vu et ce qui est entendu. La mise en scène ne change toutefois pas le livret et colle au texte pour les échanges et situations, avec de temps à autres un parti pris de dérision (entre boulevard et gauloiserie), des chorégraphies macho pour messieurs, danses à la mode des réseaux sociaux pour les deux héroïnes.
Les décors de Nathalie Holt ont l'efficacité contemporaine de ces plateaux neutres qui s'adaptent selon les besoins par des accessoires, ainsi que par les costumes de Marc Anselmi et les éclairages fonctionnels de Marc Delamézière. Dans le même registre, l’utilisation (discrète) de la vidéo projette les mêmes événements que ceux illustrés sur scène et dans le livret (notamment saillant pour le départ des soldats).
Le chef Benjamin Pionnier, à la tête de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours, déroule une riche saillie musicale, dynamique et soucieuse du théâtre. Allant de l’avant, il offre aux chanteurs un boulevard où déployer l’intrigue. Le chœur n’a pas ici de rôle dramatique particulier mais ses trois interventions sont de qualité (dans le placement du rythme et de la justesse).
La distribution vocale, homogène, donne son corps à l'œuvre : les ensembles sont de fait très équilibrés, la grande scène des adieux en particulier, et les finales qui font la démonstration du travail collectif, du souci individuel de s’accorder, ensemble (le grand finale par exemple), ou deux par deux quand cohabitent des propos contradictoires. Dima Bawab est une Despina qui soutient par son engagement scénique une voix de catégorie vocale et dramatique "soubrette", déliée, agile, mais qui souffre d’un déficit de largeur et d’étendue (dans le grave) : elle est d'ailleurs couverte dans presque tous les ensembles.
Don Alfonso est interprété par Leonardo Galeazzi, baryton à la voix solide et claire, très comédien, qui parvient à conférer à son personnage un brin d’humanité. Les tubes (nombreux) étant surtout réservés aux autres, il est néanmoins toujours juste, quant aux moyens déployés dans les récitatifs (naturels), comme dans les airs et les ensembles.
Marc Scoffoni, incarne Guglielmo, avec son baryton à la fois sonore, large et autoritaire, sachant se faire intimiste dans le duo où Dorabella va céder. Il est à l’aise scéniquement et assume avec loyauté les indications scéniques. Très convaincu en amoureux béat puis en amoureux blessé et en séducteur conquis, comme en mâle triomphant. En Dorabella, Alienor Feix place avec aisance sa voix de mezzo-soprano longue, sonore et plutôt large, qu’elle accorde dans les ensembles. Elle vocalise impeccablement et sait rendre les subtilités du rôle, de la sainte colère à la légèreté. Elle est en phase avec Fiordiligi dans leurs duos, comme avec la mise en scène.
La Fiordiligi d’Angélique Boudeville paraît jeune et un peu timide scéniquement. Elle a une voix dont l’étendue lui permet les grands airs du rôle, poitrinant et produisant les grands écarts requis avec maestria. Elle est touchante dans les atermoiements, sincère et incandescente (Come scoglio), et très touchée dans le Per Pietà, ainsi que dans le duo de l’abandon Fra gli amplessi. Sébastien Droy, après un début inquiétant, où sa voix de ténor est voilée et pleine d’air, saisit finalement un Ferrando poétique et candide avec un Tradito, schernito plein de désarroi, de mezza voce et des accents plus lyriques (face à une incertitude scénique que le public lui pardonne aisément).