Le demi-millénaire de Léonard de Vinci avec Jordi Savall au Festival d’Ambronay
Après le récital de Paulin Bündgen ce même jour, le Festival offre un autre voyage musical, mais qui, au-delà d’être un déplacement spatial à travers l’Italie et la France, est avant tout un voyage temporel qui retrace les événements majeurs de la vie de Léonard de Vinci. Chacune des sept parties du programme raconte une période de sa biographie, par le biais de 26 compositions vocales et instrumentales créées par ses contemporains : ses 30 premières années à Florence (1452-1481), puis un séjour à Milan (1482-1487), le voyage à Naples (1488-1498), la déambulation en Italie et le retour dans sa ville natale (1499-1504), le nouveau passage à Milan (1506-1512), puis Rome (1512-1515), avant de partir pour sa dernière station, la cour de François Ier à Amboise en France (1516-1519), où il mourut et repose jusqu’à nos jours. Les compositeurs dont les œuvres sont choisies pour illustrer cette histoire d’un artiste, et l’Europe musicale de son époque, puisent chez les auteurs anonymes et passent par Heinrich Isaac jusqu’à Guillaume Duffay et Josquin des Prez.
Jordi Savall et les fidèles collaborateurs de ses deux phalanges annoncent solennellement la naissance de Léonard de Vinci (le 15 avril 1452) par une pièce instrumentale en fanfares et sur le rythme de Pedro Estevan à la percussion, suivie du motet d'anonyme À Florence la joyose cité (joyeusement chantant). L’ensemble Hesperion XXI ouvre le voyage à Milan par la section des violes de gambe qui se présentent en solo, manifestant l’art de l’improvisation, alors que l’apogée de la prestation instrumentale est sans doute la Marche turque, qui renvoie à l’offre de services de Léonard de Vinci au sultan Bajazet II (l’année 1503). Presque chacun des musiciens s’y présente comme soliste et maître de son instrument, combinant la mélodie, la rythmique, les instruments et couleurs orientales, alors que Jordi Savall ouvre la "session" par un solo émouvant sur la viole soprane, sur la base d’un accompagnement en bourdon effectué par ses confrères.
Côté vocal, les chanteurs se produisent du sein du chœur, bénéficiant d'extraits occasionnels pour se distinguer en tant que solistes. Le contre-ténor Gabriel Díaz arbore une voix svelte au timbre clair qui tient fermement la ligne de soprane dans les chorals et pose son ombre sur les deux voix féminines. Dans les hymnes religieux, il colore les aigus tel un ange musicien, alternant les longues notes tenues avec les mouvements mélodiques typiques de la polyphonie renaissance. Par ailleurs, sa voix de falsetiste correspond historiquement mieux à la musique sacrée (à la différence des castrats à l’opéra), même s’il s’empare des vocalises qu’il chante avec brio, mais avec une prosodie tout de même embrouillée. Le ténor Lluís Vilamajó se présente par un chant ouvert et raide, mais à l’intonation soignée et articulant correctement le texte. Il est rythmiquement irréprochable (pour la Marche turque, il devient même percussionniste aux cloches), tout particulièrement dans les chants profanes aux figures dansantes, et il complète son timbre par l’image sonore douceâtre du chœur de la Chapelle royale catalane.
Son homologue (ténor) Victor Sordo affiche une habileté musicale à bien cadencer les phrases, les mélodies étant tendrement pétries et exploitées dans les aigus qu’il tient sous un contrôle souverain. Sur la rondeur de son timbre s’aligne celui du baryton Furio Zanasi, l’artiste modelant les notes et mélodies tel un maître-artisan. Il paraît toutefois moins investi et mal assuré, sa voix restant en retrait par rapport à ses collègues. Quant à la basse de Daniele Carnovich, il est difficilement audible et ne ressort à la surface qu'épisodiquement pour montrer une assise ronde et sombre, insuffisamment puissante.
Les deux chanteuses, la soprano Monica Piccinini et la mezzo Viva Biancaluna Biffi (également gambiste, mais pas ce soir) ne se démarquent point du son choral. Ce n’est qu’en bis (Villanesca alla napoletana) que le public peut nettement entendre la mezzo-soprano, et applaudir fortement les artistes qui sont de grands habitués et amis du Festival.