Une nuit d’été à Venise avec Véronique Gens
Le récital, dans la Scuola Grande di San Giovanni Evangelista, offre un programme certes varié mais présentant une unité de lieu (les compositeurs, de Fauré à
Massenet en passant par Hahn, Chausson ou Saint-Saëns, étant tous
français) et de temps : à deux exceptions près ("L’Île
inconnue" extraite des Nuits d’été de Berlioz, 1841
et La Vie en rose, 1945), tous les titres ont été composés
à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe.
La soprano est accompagnée par l’ensemble I Giardini, interprétant les adaptations toujours judicieuses et très raffinées composées par Alexandre Dratwicki. L’ensemble établit un véritable dialogue avec la chanteuse : certaines nuances appellent et suscitent un équivalent vocal chez Véronique Gens, qui, en retour, par une inflexion vocale, suggère une couleur, un tempo ou une intensité aux lignes musicales du piano ou des cordes. L’ensemble I Giardini a par ailleurs trois fois l’occasion de montrer sa finesse, sa virtuosité délicate et sensible indépendamment de l’art de la chanteuse : dans le premier mouvement du Quintette avec piano n°1 de Fauré, dans l’Orientale de Fernand de la Tombelle, puis dans le troisième mouvement du Quintette avec piano n°1 de Widor.
Véronique Gens sait, pour chaque pièce, trouver la parure musicale et interprétative qui en révélera la saveur, la spécificité, le mystère : les couleurs diaphanes de son timbre s’accordent ainsi au symbolisme des vers de Lekeu (Nocturne) ou Verlaine (La lune blanche luit dans les bois…) : l’alternance forte/piano ou le soin accordé au legato traduisent tout l’exotisme du Désir de l’Orient de Saint-Saëns et rendent justice aux mélismes vocaux de la Nuit d’Espagne de Massenet. Quant à L’Île inconnue de Berlioz, elle se voit imprimer une pulsation lui conférant l’élan irrésistible qui doit être le sien.
Dans la seconde partie, la chanteuse apparaît plus sereine, la voix plus libre, l’articulation encore plus claire. Les qualités de la musicienne jointes aux talents de la diseuse font de la Chanson perpétuelle de Chausson ou de « Ceux qui, parmi les morts d’amour » de Ropartz de vrais instants tragiques, ou colorent La Dernière Valse de Hahn d’une tristesse grinçante. Pour La vie en rose de Louis Guglielmi, très intelligemment, Gens s’éloigne sensiblement de la version Piaf. Nulle gouaille ici, nulle expression affirmée de l’amour, mais une délicieuse féminité, une sensualité frémissante, la chanson se présentant comme un aveu susurré, comme si la femme n’osait croire encore à l’amour naissant qui s’offre à elle, si ce n’est dans l’envolée lyrique : « C’est lui pour moi, moi pour lui dans la vie… »
Après un premier bis (Après un rêve de Fauré, empreint de mystère et de poésie), c’est cette chanson qu’offre une nouvelle fois Véronique Gens à son public conquis. Un CD comportant ce même programme est annoncé : nul doute qu’il ne prolonge durablement le plaisir de cette délicieuse « Nuit d’été ».