Les « Voix Nouvelles » à Royaumont : de la création avant toute chose
Outre The Angels des Métaboles (ensemble en résidence à l’Abbaye de Royaumont
jusqu’en 2021), ce programme Voix Nouvelles s'exprime par un focus sur les interprètes, d’abord, avec
l’Ensemble Voix Nouvelles composé de six jeunes sopranos placées
sous la houlette de Donatienne Michel-Dansac : Mathilde
Barthélémy, Kanae Mizobuchi, Andrea Conangla, Louise Leterme,
Esther-Elisabeth Rispens et Adriana Aranda Redondo. Par les
compositeurs, ensuite, huit des quatorze stagiaires sélectionnés
ayant écrit pour la voix, fruit d’un travail encadré par Franck
Bedrossian et Mark Barden où se retrouvent Les Métaboles et leur
chef Léo Warynski, le Quatuor Mivos et la contrebasse de Florentin
Ginot, tous œuvrant pour le répertoire contemporain. En résulte une atmosphère d’émulation, d’exaltation artistique au
profit de l’expérimentation et de la recherche des possibles, au
fil de concerts montrant le fruit du travail de ces jeunes artistes.
Du côté des interprètes, l’Ensemble Voix Nouvelles offre dans le cadre boisé de la bibliothèque Henry & Isabel Goüin un programme ancré dans le XXe siècle (Cage, Saariaho, Aperghis, Kagel, Johnson, Nono) où toutes les techniques vocales et les usages de la voix au sens large semblent mobilisés : plein chant, tue-tête, sifflements, soufflements, chuchotements, etc. Les œuvres au programme invitent par ailleurs à une grande théâtralité dans l’interprétation, avec une place particulière laissée à l’humour, que révèlent notamment les délicieux Counting duets de Tom Johnson, ou la Geographical fugue à quatre voix d’Ernst Toch très staccato dont les jeux rythmiques (les triolets sur « Canada » ou « Mexico ») sont d’une redoutable efficacité. Elles sont complétées par La Cité des Dames, création de la jeune compositrice lituanienne Justina Repeckaité pour six sopranos qui donne certes l’intitulé du programme, mais reste sur un contenu très attendu où les six voix partagent des embryons mélodiques et rythmiques sur des nappes sonores. Les jeunes interprètes se prêtent au jeu dès l’entêtant « Once upon a time » de Cage à quatre voix, lequel installe l’auditoire dans une atmosphère de synergie bon enfant, et se montrent tout à fait prometteuses dans le répertoire défendu. Les passages solistes ou en duo en particulier sont à retenir : From the grammar of dreams de Saariaho et ses nombreux tritons (intervalle considéré comme dissonant formé de trois tons) oniriques, les Counting duets qui parsèment le programme et dont les montées chromatiques teintent les voix d’une tension jusqu’à un timbre presque étouffé, comme les délirantes Récitations d’Aperghis. Quant au Candi di vita e d’amore, pourtant servi par Kanae Mizobuchi avec des tenues limpides et filées, celui-ci ne résonne pas dans toute son ampleur en raison de l’acoustique assez sèche des lieux.
Les huit compositeurs (Michaela Catranis, Yi-Ting Lu, Juta Pranulyté, Aya Yoshida, Basile Chassaing, Mauro Hertig, Samuel Taylor et Kevin Zhang) présentent quant à eux le fruit de leur travail dans le réfectoire des moines, servis par Les Métaboles, le Quatuor Miros et le contrebassiste Florentin Ginot. Il est tout à fait saisissant de voir ce fleuron de la composition vocale contemporaine s’essayer à des expérimentations plus ou moins audacieuses. L’engagement des artistes dans l’interprétation de ces partitions rend par ailleurs compte de l'aboutissement de ce dispositif. Le programme soigne particulièrement le début et la fin du concert, avec deux compositions en particulier. Les Shadows in the rain d’Aya Yoshida pour seize voix et contrebasse (parfois ornée de papier d’aluminium sur les cordes au niveau du chevalet) qui surprennent par des textures enténébrées, par une multitude d’effets rendus efficaces grâce à la spatialisation des voix tout autour du public (chuchotements glaçants, glissandi, halètements soudains) et par une heureuse correspondance entre l’instrumentiste et les voix. Puis The Great Mirror de Mauro Hertig pour double quatuor vocal, écrit à partir de l’encyclopédie de Vincent de Beauvais laquelle est supposée contenir tout le savoir du monde. Cette ambition totalisante se trouve transcrite dans cette performance tripartite qui intègre et lie une grande variété d’éléments avec un certain brio dans la réalisation. Aussi représentés : l’utilisation d’enregistrements sonores, la mobilisation du public laissant une libre part à l’improvisation, la spontanéité des changements de ton portée par des claps de mains avec dans le même temps une compétence certaine dans l’écriture du chant choral dont rend compte un discours équilibré. La débauche d’énergie, le timbre souriant des Métaboles prenant part à cette expérience se font communicatifs, assurant ce moment fort du concert. Outre ces deux pièces, le temps se dilate avec les incertains Fragmented shatters de Yi-Ting Lu comme les nombreux plans superposés du Narcisse et Gaïa de Basile Chassaing.
Deux concerts qui rythment un week-end entier autour de la création, et dont la gratuité invite un public nombreux à découvrir ces « Voix Nouvelles » !