Laurent Pelly et Les Puritains, reprise captivante à Bastille
C’est à Laurent Pelly que revient la lourde tâche de rendre à cette histoire et à ce texte une forme et une intensité, alors que le metteur en scène souligne lui-même les incohérences du livret, comme le faisait le chef d'orchestre de cette production dans notre interview (parmi d'autres auteurs). L'équipe propose une mise en scène épurée et captivante : toute la scénographie et l’histoire tournent autour du personnage d’Elvira dont se découvrent très vite la grande émotivité et l’instabilité grandissante. Dès les premières mesures, la jeune fiancée apparaît, palpitante et inquiète, dans le château de ses pères, immense structure métallique rappelant une vaste prison, où elle ne cesse de déambuler sans but. La folie émaille ses gestes dès son premier air pour finir par la posséder tout à fait durant la deuxième partie du spectacle. Les autres personnages sont ainsi volontairement mis en retrait pour n’intervenir qu’aux moments clés de l’intrigue, tout comme le décor qui se construit principalement autour de la chambre du personnage féminin. La mise en scène équilibre comédie et tragédie, interventions amusantes des dames de la cour comme des soldats et solitude endolorie d'Elvira, le tout proposant un spectacle hybride où ressortent les moments dramatiques, ce qui permet de mettre en avant les qualités musicales de l’œuvre.
Elvira prise par Elsa Dreisig est pleine de vivacité et porte la folie avec une efficacité constante (d’autant plus qu’un tel investissement doit demander une grande énergie scénique). La voix est fraîche, la projection aisée mais le chant majoritairement forte, notamment dans le haut medium où le timbre –rond et brillant– se durcit pour offrir des suraigus un peu aigres. Ainsi, la touchante interprétation au dévouement dramatique, n'offre pas la technique belcantiste sul fiato (sur le souffle) permettant un jeu de couleurs riche et varié. La scène de la folie en pâtit, d’autant plus que la chanteuse franco-danoise semble alors se fatiguer vocalement dans les longues phrases.
Arturo par le ténor Francesco Demuro est solide et investi sur le plan dramatique, nonobstant les difficultés vocales que représente ce rôle. Toutefois, et malgré cette générosité manifeste, certains sons incontrôlés viennent ternir la jeunesse du timbre et l’implication de l’artiste. Des voyelles nasales, d’autres ouvertes déforment la ligne vocale, hachant le legato du phrasé. En résulte un chant avec peu de nuances lui aussi et souvent couvert par l’orchestre.
Le Sir Giorgio de Nicolas Testé déploie une voix pleine, homogène et brillante : le personnage sait être tantôt noble, tantôt paternel sans jamais forcer le trait. Il démontre sa maîtrise, dans son air comme en duo avec Sir Riccardo Forth. Celui-ci, campé par Igor Golovatenko est fier et arrogant. La projection est parfois en-dehors, voire outrée et démonstrative. La voix est très riche néanmoins et des sons nasalisés laissent la place à un timbre tout en noirceur dans la deuxième partie de la soirée.
Jean-François Marras donne à Sir Bruno Roberton une voix grandement expressive et musicale. Gemma Ní Bhriain incarne la Reine Enrichetta di Francia : si le personnage est immédiatement perceptible dans son trouble et son malheur, la voix peu audible est souvent dotée d’un vibrato large qui empêche de distinguer clairement le phrasé.
Enfin, la direction de Riccardo Frizza, très attentive aux chanteurs et au chœur, sait mettre en avant la beauté des phrases du compositeur sicilien avec raffinement. Le Chœur de l’Opéra de Paris préparé par José Luis Basso est très en forme, tant dans son implication scénique que dans l’expressivité de son chant. L'Orchestre offre un riche tapis sonore à l'intrigue, notamment lors des grands ensembles où il prend part aux enjeux du drame avec une grande intensité.
La soirée se termine sous les applaudissements chaleureux d'un public conquis.
Réservez ici vos places pour cette production, donnée à Bastille jusqu'au 5 octobre