Euphonia 2344 ou Berlioz visionnaire au Festival de La Côte-Saint-André
Bruno Messina, Directeur ô combien passionné du Festival Berlioz dans la ville natale du compositeur (La Côte-Saint-André), propose actuellement dans le cadre des Festivités marquant le 150ème anniversaire de la disparition du génie français, plusieurs ouvrages lyriques essentiels de Berlioz comme La Prise de Troie (première partie des Troyens), Roméo et Juliette, Benvenuto Cellini et La Damnation de Faust (à retrouver, bien entendu en comptes-rendus sur Ôlyrix). Mais la création ne pouvait être oubliée au sein de la programmation, notamment par cet Euphonia 2344, fruit d’une réflexion de plusieurs années entre Bruno Messina et Michaël Levinas. Il y a 20 ans déjà, ce compositeur avait produit une musique de scène s’inspirant du même texte pour l’Orchestre de Paris en association avec la Comédie Française. Michaël Levinas revient à ce texte pour rende hommage aux qualités littéraires de Berlioz, en concevant une œuvre d’une durée d’une 1h15 environ, faisant appel à un effectif orchestral réduit et à un chœur restreint lui aussi, ainsi qu’à des interprètes lyriques -chant et parlé/chanté s’alternent et se répondent- et comédiens.
Berlioz possédait une plume remarquable et souvent acérée. Euphonia ou la ville musicale est un texte publié en 1844 faisant ultérieurement partie de son livre Les Soirées de l’orchestre. Il s’agit en fait d’une histoire d’anticipation et moralisatrice se situant en 2344 en Allemagne au sein d’une ville totalitaire où domine l’absolu musical qui concentre tous les efforts et bride toutes les autres aspirations. La capricieuse Mina, délaissant son amoureux le compositeur Xilef, se présente dans la cité sous le nom d’une cantatrice prétendument venue de Vienne, Nadira, et prétextant se produire sur sa seule réputation. Elle cherche traîtreusement à séduire un autre compositeur, le préfet des instruments à vents, Shetland. Ce dernier lui donne à entendre la musique de Gluck auquel la cité voue un culte presque exclusif. La jeune femme semble alors se métamorphoser. Mais Xilef, éconduit, échafaude une vengeance terrible et la mise à mort de Mina au cours d’un bal. Par ce fil narratif romanesque, Berlioz introduit son propre vécu, évoquant ses difficultés de compositeur avec les orchestres dont il honnit la paresse, les interprètes et leurs caprices, le public trop complaisant. Il aspire à une authenticité qui passe obligatoirement par l’effort, la générosité, le don de soi et l’esprit d’aventure : « Je suis pour la musique libre et fière, souveraine et conquérante, qui aille elle-même au feu comme Napoléon ». Le message est net et précis, l’aspiration absolue.
Ce "programme" littéraire est l'occasion pour la partition d'offrir quelques réminiscences de la musique de Berlioz (La Symphonie Fantastique notamment, qui initia le genre français de la musique à programme : la symphonie décrivant par des moyens purement instrumentaux, un canevas littéraire -écrit par Berlioz en personne) et de Gluck (Alceste), Michaël Levinas élabore un style qui lui est propre, quelquefois un peu sec et ardu, où la prosodie s’affirme surtout au premier plan et où la réverbération prend toute sa place dans la Chapelle de la Fondation des Apprentis d’Auteuil. Daniel Kawka placé à la tête de l’Ensemble Orchestral Contemporain et du Chœur Spirito, celui-ci excellemment préparé par Nicole Corti, donne tout son relief à cette musique qui jamais ne vient briser un texte dont l’intensité même demande un effort particulier à l’auditeur.
Xilef est interprété avec une sincérité dans les accents par le baryton très clair de timbre de Mathieu Dubroca, tandis que le rôle de son rival Shetland est confié au contre-ténor, Guilhem Terrail. La voix de ce dernier apparaît fort souple, rayonnante, le timbre séduisant, l’artiste engagé. Michaël Levinas sacrifie quelque peu les rôles féminins, faisant de Mina et surtout de sa terrible mère, Madame Happer, des personnages assez caricaturaux et excessifs dans leurs interventions et comportements. La soprano Élise Chauvin incarne de fait une Mina assez échevelée tout en affrontant la partie strictement vocale difficile avec assurance. Sarah Laulan doit démultiplier ses moyens naturels de mezzo-soprano étendus aux graves profonds, pour incarner la marâtre. Jeanne Crousaud a bien peu à chanter dans le rôle de la servante, mais elle le fait avec qualité rejoignant les comédiens/récitants présents –Romain Gillot, Paul Fougère, Mathurin Voltz- tous habités par leur personnage respectif. Stanislas Nordey, malgré le peu de latitude et d’espace dont il disposait, s’est efforcé d’animer ce spectacle et d'exploiter avec richesse comme densité une dimension scénographique, dont les qualités strictement dramatiques s’avèrent tout de même parcimonieuses.