Parsifal prone la Paix universelle à Bayreuth
Il peut arriver qu'au fil des reprises, un spectacle monté à Bayreuth trouve progressivement ou subitement sa vitesse de croisière et gagne le cœur des festivaliers comme ce fut le cas à de nombreuses reprises dans le passé. Pour ne parler que de Parsifal, l'Histoire se souvient du grand scandale historique de la production Wieland Wagner, huée lors de la première en 1951 et reprise sans interruption jusqu'en 1973. L'autre grand scandale interviendra en 2004 avec la production de Christoph Schlingensief – scandale compensé par le succès public de la scénographie de Stefan Herheim quatre ans plus tard. La logique de cette production tenait au fait qu'elle inscrivait l'action dans la trame de l'histoire allemande contemporaine. Autant d'ombres tutélaires s'imposant sur la disparition de cette version signée Uwe Eric Laufenberg.
Le Directeur du Hessisches Staatstheater de Wiesbaden joue la partition d'un Parsifal vintage avec des croisées d'ogives immaculées et une scène du Graal sanguinolente à souhait. Laufenberg a voulu un "Festival scénique sacré" proche des préoccupations de notre temps et tout particulièrement de la situation géopolitique du Moyen-Orient. Les chevaliers du Graal sont situés en pleine zone de conflit et les réfugiés affluent dans ce havre de paix. L'enchantement du Vendredi Saint donnera lieu à une pittoresque douche collective tandis que, frappés par un œcuménisme ravageur, tous les protagonistes de ce conte pour grands enfants scellent la paix entre les peuples en déposant dans le cercueil de Titurel les artefacts de leur foi. Tout est désormais pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Endossant le rôle-titre pour la deuxième année, Andreas Schager fait entendre un peu de Siegfried sous les atours du reine Tor (Parsifal). La projection n'est jamais prise en défaut, mais un peu plus de nuances permettrait de dessiner un personnage plus en adéquation avec le propos scénique. Mêmes effet pour la Kundry d'Elena Pankratova, explicitement incandescente et dont le métal hurlant se plait à faire surgir les vociférations qui conviennent à l'acte II.
Günther Groissböck est en Gurnemanz l'un des rares à combiner l'art du chant avec la cohérence de la direction musicale. Son personnage existe largement au-delà de la seule performance vocale, notamment par le fait qu'il fait entendre la douleur intime d'un héros à la fois impuissant par ses actes et tout entier plongé dans la foi et la compassion. Amfortas est confié à l'énergique Ryan McKinny dont on aurait mauvaise figure de reprocher une santé vocale aux antipodes du martyr doloriste que cherche à lui imposer la scénographie.
Derek Weltonest est un Klingsor pris au piège de la tessiture et de l'ampleur que Wagner a tendu aux interprètes de ce rôle. L'auditoire doit se contenter d'imaginer le Titurel de Wilhelm Schwinghammer ou l'Alt solo de Simone Schröder, tous deux renommés mais dissimulés en coulisses par la mise en scène. Des lauriers enfin pour des filles-fleurs à la fois nuancées et en place, ainsi que le chœur, capable à lui seul de porter le final vers des hauteurs stratosphériques.
Semyon Bychkov confirme toutes les bonnes impressions des années précédentes, en usant d'une battue régulière mais jamais nonchalante, avec un art consommé de la sollicitation et du geste.