À Vichy, Les Pêcheurs de Perles vivent un rêve éveillé
Pour la deuxième édition de la nouvelle formule de sa saison d'été (un an tout juste après un Werther de concert porté par le duo Jean-François Borras - Karine Deshayes), la maison lyrique vichyssoise reste fidèle au répertoire français du XIXe siècle en programmant la plus célèbre des œuvres de jeunesse de Georges Bizet : Les Pêcheurs de perles. Une œuvre dont l'action se situe à Ceylan (l'actuel Sri Lanka), et dont le public peut légitimement attendre qu'elle invite au rêve et à l'évasion.
Une plongée au pays des songes
Confié à la troupe de l'Opera Éclaté, qui avait déjà fait la route entre Saint-Céré et l'Auvergne en février dernier (pour une Vie Parisienne pleine de folie à Clermont-Ferrand), ce pari de l'invitation au songe est servi par les décors de Ruth Gross, la mise en scène d'Éric Perez particulièrement efficace, simple sans être simpliste ni minimaliste, en tout cas pour servir le déroulement de l'intrigue. Les trois actes se déroulent dans un même cadre, défini en fond de scène par une structure à trois étages qui constitue le socle d'une forme de paroi centrale sur laquelle seuls peuvent évoluer les trois personnages principaux. Et pour cause : cette scène sur la scène constitue le lieu de leurs songes, de la matérialisation de leurs rêves, lesquels débutent après que chacun de ces trois protagonistes se soit défait d'un vaste voile sous lequel tous se trouvent allongés au lever de rideau.
Ainsi isolé au centre de la scène, ce triangle de rêveurs amoureux se distingue également par ses habits, qui sont inscrits dans la modernité, quand l'ensemble des autres personnages portent des vêtements tout droit sortis d'une culture traditionnelle lointaine (foulards sur la tête pour les dames, turbans pour les hommes). Du reste, comme pour mieux plonger l'auditoire dans le songe des personnages, des images sont diffusées durant quasiment tout le spectacle sur le mur de la vaste paroi centrale. Il y a là, pêle-mêle, des images des fêtes traditionnelles sud-asiatiques, de fonds sous-marins, d'animaux sauvages, de célébrations sacrées et de rites sacrificiels. Autant de visuels animés qui entendent illustrer les rêveries de chacun mais défilent un peu trop vite. Quand les projections d'images cessent, c'est pour mieux laisser place à de formidables jeux d'ombres, notamment dans un acte III riche de tension dramatique.
Une Leïla distinguée
Vocalement, le plateau de solistes emporte aussi l'adhésion, avec notamment la Leïla de Serenad B. Uyar. Pour sa deuxième performance dans ce rôle (quatre jours après l'avoir découvert à Saint-Céré), la soprano turque se montre fort à son aise dans l'expression scénique comme musicale. Portée par une projection robuste sans être jamais forcée, la jeune cantatrice fait un usage savant d'un timbre coloré et nourri par de suaves intonations. Les aigus sont expressifs, mais le vibrato a une tenue parfois aléatoire. Le Nadir de Mark van Arsdale dispose d'une voix pleine de brillance et de caractère, au timbre clair et satiné. Trouvant un terrain d'expression dans la grande romance de l'acte I, la ligne de chant du ténor américain est pleine d'une délicatesse qui sied au rôle de l'amoureux tourmenté. En Zurga, avec sa voix chaude à défaut d'être de stentor, le polonais Paul Jadach dévoile un baryton non moins élégant, aux sonorités justement austères et sombres lorsque nécessaire, le tout doublé d'un jeu de scène investi, notamment lorsqu'il s'agit dans le finale, grande épée en mains, de pardonner l'amoureuse et l'ami infidèles.
Hors cette grande estrade où songent les héros, Jean-Loup Pagésy endosse avec maîtrise les habits de Nourabad. Même si sa projection laisse parfois l'audience sur sa faim, la voix de la basse française n'en reste pas moins impeccable de justesse et d'homogénéité dans chacun des registres. Irréprochable, et totalement investi, les chœurs de l'Opera Éclaté et de l'Académie lyrique d'Occitanie le sont tout autant, contribuant pleinement à conférer aux rêves des jeunes héros des ambiances musicales aussi exotiques qu'ardentes et entêtantes. À la tête de l'Orchestre de l'Opera Eclaté, Gaspard Brécourt donne toute l'impulsion et la fougue nécessaires à l’exécution d'une partition transformée en hymne aux jeunes rêves d'évasion et d'amour. Dont on ne peut dire, en l'espèce, qu'ils finissent mal en général.