Lohengrin à Bayreuth, insigne, électrique et de haut vol
Cette production, univers onirique, fait de Lohengrin une fable pour grands enfants, avec pour écrin les projections en haute définition des toiles signées Neo Rauch et Rosa Loy. Le metteur en scène américain Yuval Sharon relève le défi d'intervenir dans une production où les décors avaient été construits au préalable pour Alvis Hermanis. Il subsiste de cette anecdote un hiatus entre une direction d'acteur millimétrée et des décors qui pourraient être jugés surdimensionnés.
C'est donc un Lohengrin qui joue sur des contrastes assez simples, mais très efficaces, comme par exemple l'obsession de bleu et de blanc dans les costumes et les décors. Dans la production précédente (Hans Neuenfels, 2010-2015), le héros salvateur qui plane déjà sur un peuple servile et peureux du Brabant était mis en valeur par de très symboliques rats et souris qui se partageaient le pouvoir. L'idée de Yuval Sharon est d'utiliser la métaphore de l'électricité comme énergie vitale et donc, amoureuse. L'arrivée de Lohengrin relève facétieusement de l'intervention du technicien de service qui vient réparer la panne générale que subit le royaume du Brabant. La noblesse locale est vêtue de curieuses ailes de lucioles qui valent autant comme accessoires et représentation d'une aristocratie insectiforme (les lucioles volent vers la lumière). Seule l'irruption de la couleur orangée dans l'acte II signalera l'amour d'Elsa pour son mystérieux amoureux. La question de l'identité déclenchera la crise conjugale et le départ du héros vers d'autres cieux. L'irruption du futur héritier du Brabant en étrange bonhomme vert brandissant un rameau électrique est laissée à l'imagination d'un public partagé entre désarroi et apologie de l'énergie verte.
L'année dernière, Piotr Beczała avait su consoler les fans de Roberto Alagna qui avaient cru jusqu'à la dernière minute à l'arrivée miraculeuse du ténor français voguant vers la Colline dans une nacelle tirée par un cygne. Fort heureusement, Klaus Florian Vogt met un terme définitif à ces débats oiseux. Son interprétation semble dire que le rôle lui "appartient" désormais. La clarté si particulière de son timbre se combine à une projection modèle qui fait du phrasé un élément prédominant de son interprétation. Un silence recueilli accompagne son "Im fremden Land" et la salle se lève comme un seul homme pour saluer une incarnation et une cohérence entre des moyens vocaux et la nature narrative autant que musicale du personnage. Camilla Nylund quant à elle, réussit l'exploit de faire oublier qu'il s'agit là d'une prise de rôle tant le naturel de l'émission et surtout la noblesse d'une ligne très liedersängerin (chanteuse melodiste), font autorité. Après Elisabeth de 2011 à 2014 et Sieglinde en 2017, la soprano finlandaise entre de plain pied dans l'histoire du festival en chantant également Eva dans la production de Barrie Kosky.
Plus classique de chant et de jeu, Tomasz Konieczny chante son Telramund sans autre enjeu que de pousser ses notes avec pour résultat une émission invariablement tendue et vindicative. L'Ortrud d'Elena Pankratova souffre d'une technique vocale ne parvenant pas à saisir toutes les nuances d'un personnage qui mérite mieux que des vitupérations de gosier et des aigus stridents.
Le Roi Henri de Georg Zeppenfeld est remarqué en tous points. La surface vocale appréciable et la densité du grain font de ce chanteur l'un des piliers essentiels de cette production. Le Héraut d'Egils Silins, malgré la minceur de ses interventions offre virtuosité et une gamme de couleurs inhabituelle. Les chœurs enfin, se couvrent de gloire en retrouvant cohésion et énergie constantes et en tous points, multipliant les prouesses depuis les équilibres majestueux jusqu'aux nuances millimétrées et toujours sensibles.
Le maître d'œuvre de cette réussite s'appelle Christian Thielemann. Le chef allemand réalise cette année un tour de force exceptionnel en s'appropriant toutes les difficultés de l'œuvre et si Vogt met le public debout, Thielemann le met à genoux. Les phrasés vont sans cesse de l'avant, avec une énergie et une liberté aux sommets. Sa direction donne à la partition une carrure et une finesse qui sont les deux caractéristiques d'une lecture de haut vol.