Les Maîtres Chanteurs enchantent l'Opéra Bastille
Bo Skovhus (Sixtus Beckmesser) et Brandon Jovanovich (Walther von Stolzing) © Vincent Pontet
Venue de Salzbourg, la production de Stefan Herheim ne ressemble en rien à ce que le metteur en scène avait imaginé pour Parsifal à Bayreuth en 2012. Ici, point de retour sur les heures sombres de l'Allemagne nazie, on entre dans la confortable époque Beidemeier qui berça le jeune Wagner. Le Norvégien retourne ainsi à l'essence de l'œuvre : la gaieté. En déployant une ambiance à l'orée du conte, Herheim met en avant sa dimension comique. N'oublions pas qu'il s'agit de la seule œuvre comique de la maturité de Wagner. La seule qui s'achève bien. Ici, point de surnaturel et de mythologie. Le concours de chant, déjà exposé dans Tannhaüser, doit d'ailleurs se faire selon des règles strictes et ancestrales. Le rideau s'ouvre ainsi sur Hans Sachs qui, pris d'une soudaine inspiration nocturne, se met à l'écriture des Maîtres Chanteurs. Dès lors, les trois actes seront travaillés comme des rêves d'où jaillit son imagination. Le rythme est tenu. L'acte I passe en un éclair, tandis que le défilé des personnages des contes des frères Grimm et l'allégresse distillée dans l'acte II tire au public de francs éclats de rire. Enfin, malgré quelques longueurs, Herheim parvient à venir à bout de l'impitoyable acte III. Certes sans véritable prise de risque, le pari scénique est donc relevé.
Agrandis, les décors bourgeois et bien pensés de Heike Scheele donnent aux chanteurs des allures de lilliputiens et contribuent à teinter l'œuvre d'une atmosphère flottant entre onirisme et réalité. Dommage cependant que certains costumes de Gesine Völlm empoussièrent la distribution. Ses costumes féminins manquent ainsi cruellement de folie.
Gerald Finley (Hans Sachs) et Bo Skovhus (Sixtus Beckmesser) © Vincent Pontet
En Hans Sachs, Gerald Finley excelle. Exploitant la richesse du rôle avec une solide maîtrise vocale, une projection et une diction impeccables, le baryton humanise ce personnage à la fois artisan et artiste, à la fois père protecteur et homme habité par un amour qu'il s'interdit, se sentant trop vieux. Bo Skovhus est irrésistible. Drôle en mauvais chanteur pédant, il confère à Beckmesser les traits de l'homme risible sans jamais tomber dans la simple caricature. Avec subtilité et des aigus soutenus, Julia Kleiter campe une Eva encore immature et ambigüe, aussi tentée de succomber au côté rassurant de Sachs qu'à ses sentiments soudains pour le jeune Walther. Le couple formé avec Brandon Jovanovich est crédible. Fier et impétueux, son Walther est assuré par une voix chaude au timbre agréable. Si Wiebke Lehmkuhl livre une Magdalene de bonne composition mais sans éclat, Toby Spence parvient à tirer son épingle du jeu en interprétant David plein d'esprit. Le reste de la distribution est remarquable et de haut niveau. Andreas Bauer est hilarant en veilleur de nuit et Günther Groissböck campe un parfait Veit Pogner.
Autre grande réjouissance de la soirée : la performance réalisée par l'Orchestre de l'Opéra de Paris. Sous la direction attentiste et délicate de Philippe Jordan, la phalange parisienne redonne à la partition de Wagner toute sa légèreté. L'ouverture se libère avec finesse et sans précipitation, l'euphorie qui règne au deuxième acte resplendit, malgré un équilibre entre la fosse et le plateau quelque peu mis à mal, la joie et la mélancolie transparaissent au fil de l'œuvre. José Luis Basso poursuit avec brio son travail avec le Chœur de l'Opéra national de Paris qui réussit à insuffler à l'œuvre un joli vent de gaieté.
Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, mise en scène de Stefan Herheim, direction musicale de Philippe Jordan, du 1er au 28 mars 2016, Opéra Bastille. En savoir plus sur l'œuvre. Réserver mes places. Votre avis sur cette production.