Cendrillon de Massenet papillonne à Glyndebourne
Cette production partie en tournée dès son année de naissance (2018) met notamment et puissamment en évidence le Chœur de Glyndebourne, se mouvant et chantant dans l'enthousiasme et l'harmonie. John Wilson et l'Orchestre Philharmonique de Londres, eux aussi dans une forme éclatante et pleine, rendent la partition scintillante de Massenet avec des effets emplis d'éclats, de couleurs, des mariages de timbres aussi heureux qu'à la fin d'un conte de fée.
Les six esprits qui accompagnent en grande partie le chant de La Fée sont impeccables d'attention et d'intention, de placement vocal et rythmique (Sofia Larsson, Jacquelyn Parker, Jennifer Witton, Leslie Davis, Rhiain Taylor et Lauren Easton). Ils sont évidemment aidés par la Fée de Nina Minasyan, un des grands rôles coloratures dont les fioritures sont ici guidées au laser (vocal). Les notes aiguës sont choisies et bondissantes, mais aussi jumelées à un legato élégant. Autant de qualités qui font d'elle la claire favorite du public lors des rappels au rideau.
Les hommes choisis parmi le chœur pour quelques solos s'acquittent également de leur tâche : Romanas Kudriašovas est tout à fait un "Surintendant des plaisirs", Anthony Osborne campe en Doyen de la Faculté le seul rôle ténor dans l’œuvre (explicitement marqué comme un "trial", ténor aigu, nasal particulièrement adapté aux rôles comiques et dont nous vous parlerons dans notre prochaine série d'airs quotidiens, dédiée aux tessitures uniques). Michael Wallace assure également le rôle du Premier Ministre avec assurance et style. Seul Adam Marsden voit la chaleur de son chant compliquer les défis vocaux du Roi.
Lionel Lhote construit le rôle de Pandolfe avec un art du registre médium mélodieux. La production faisant l'heureux choix de laisser intacts (sans coupure) ses deux passages en mélodrame (parlé musical) ainsi que ses lignes au début du quatrième acte, le public peut apprécier son français autochtone, si important pour le livret de Caïn et pour la partition de Massenet. Agnes Zwierko offre une belle-mère de Cendrillon plus grande et vraie que nature, à la fois commandante et conspiratrice. Son mezzo-soprano ample et large donne le ton. Eduarda Melo et Julie Pasturaud dans les rôles de Noémie et Dorothée, réussissent à individualiser les deux personnages de sœurs, en grande partie grâce à des costumes et des mouvements très différents, mais aussi sur le plan vocal : la soprano par des aigus reluisant, la mezzo à l'assise râpeuse.
Danielle de Niese semble légèrement indisposée dans son travail technique du rôle-titre. La plupart des phrases se terminent par un diminuendo al niente, avec un vibrato chétif qui déstabilise la texture entière, et dans certains cas la justesse. Nonobstant, le velouté sur toute la gamme et la variété des couleurs sont pleinement adaptés au rôle. D'autant que la présence scénique est constante : celle d'une Cendrillon opprimée autant que d'une amante débutante et danseuse de bal.
Kate Lindsey connaît elle aussi une soirée ambivalente, mais pour des raisons inverses. Vocalement, elle est absolument à son aise dans ce rôle travesti du prince charmant avec pour Massenet une voix de Falcon (typologie également à retrouver dans notre prochaine série d'Airs du Jour). La voix n'a pas besoin d'être puissante pour imposer une forte présence dramatique, le registre moyen est assuré tout en restant intriguant. La gamme vocale est en pleine forme, vive et chatoyante. Côté scénique cependant, la production lui demande une pantomime de servante, brouillant encore davantage les genres en la travestissant de nouveau.
La production de Fiona Shaw a connu un accueil compliqué en tournée, sans doute car elle transforme les séquences oniriques en séances de psychanalyse : les rêves sont interprétés avec distance, par de nombreux effets de dédoublements et miroirs. La reprise de mise en scène effectuée par Fiona Dunn pour le festival n'y apporte pas de changement drastique. Cendrillon n'est jamais laissée seule longtemps : soit accompagnée par son jeune alter ego, soit par la 'femme' Prince Charmant et surtout d'omniprésentes images de papillon. "Cendrillon se nomme elle-même papillon" déclare Fiona Shaw dans le programme, mais le seul moment où Cendrillon prononce le mot "papillon" est dans le monologue qui ouvre l'Acte I, Scène 5 ("Reste au foyer, petit grillon, car ce n'est pas pour toi que brille ce superbe et joyeux rayon... Ne vas-tu pas porter envie au papillon ?").
Dans le registre des volatiles associés a cet opus, il existe pourtant une autre référence historique, avec un autre oiseau et une autre interprète : Julia Guiraudon (1873-1966) chantant Cendrillon avec une tourterelle vivante sur la main.