Pierre le Grand, Tsar Démasqué à Dinard
L'ouverture de la soirée est à l'image du spectacle : un pot-pourri indéniablement russe empruntant à diverses œuvres telles que Tableaux d’une exposition (Moussorgski), Le Lac des cygnes (Tchaïkovski), Shéhérazade (Rimski-Korsakov) ou encore la chanson populaire Kalinka. Sur scène, deux artistes circassiens jouent des rôles d'enfants pour évoquer la jeunesse du tsar. Une récitante intervient alors en présentatrice de télévision et elle explique le contexte historique. S’ensuit une succession de pièces musicales qui mélangent allemand, italien, russe (heureusement sur-titrés et traduits en français). Elles empruntent notamment à trois opus (parmi les nombreux consacrés au Tsar Pierre le Grand, idéalisé dès le Siècle des Lumières pour ses idées modernes) : Pierre le Grand (1790) d'André Gretry, Le Zar und Zimmermann (1837) d’Albert Lortzing et Il Borgomastro di Saardam (1827) de Gaetano Donizetti, ces deux derniers inspirés d’une pièce de théâtre française, Le Bourgmestre de Saardam ou Les deux Pierre de Mélesville écrite en 1818, relatant un épisode de la jeunesse du Tsar, venu incognito travailler comme charpentier sur le chantier naval de Zanadam en 1697. Le projet annonce alors vouloir décrypter en musique les infox (fake news) colportées ou idéalisées sur la vie du Tsar -sans pourtant expliquer en quoi les faits, même anecdotiques, évoqués dans ces opus seraient faux. La compréhension est rendue d'autant plus ardue puisque les quatre interprètes masculins changent constamment de rôles et que les rôles changent également d'interprètes, en échangeant des éléments de costumes (conçus par Sanne Puijk) : gilet rayé pour le tsar, chapka pour le déserteur, perruque et robe de chambre pour le bourgmestre.
Côté mise en scène, Nynke van den Bergh opte pour des effets simples et ludiques. Le décor se limite à des accessoires en carton dans lesquels sont découpés des silhouettes ou une coque de navire. La bonhomie et le recours aux arts du cirque n'en cache pas moins certains détails aussi morbides que véridiques : les jongleries avec des têtes de poupée font référence à la passion et à la cruauté de Pierre, les bocaux remplis de bébés en plastique sont une allusion aux fœtus monstrueux qu'il collectionnait.
L’ensemble instrumental est constitué de huit artistes investis, jouant la musique du XIXe siècle avec des instruments anciens et authentiques (avec maîtrise, hormis le désaccordage au milieu de la première partie). Sur le plateau, cinq chanteurs sont constamment présents et doivent se plier à l’exercice périlleux d’interpréter plusieurs personnages, de chanter en quatre langues différentes, le tout dans des styles et esthétiques très divers.
Seule interprète féminine, la soprano russe Varvara Tishina est très sollicitée puisqu’elle interprète le rôle parlé de la présentatrice, mais également celui de Catherine, l’amoureuse éplorée dans l’œuvre de Grétry. Son timbre de voix est clair, les vocalises légères et agiles lui permettent d’être à l’aise dans les extraits en italien où la tessiture du personnage de Marietta lui convient au mieux. Plus inégale en allemand, elle perd de la puissance et du soutien, devenant par moment à peine audible, voire disparaissant lors des ensembles.
Les quatre voix masculines forment à plusieurs reprises un quatuor équilibré et bien coordonné, reflétant l’esprit de troupe. Les deux ténors présentent des profils très différenciés : la tessiture de Falco van Loon frôle celle du haute-contre, plus aigu et plus seyante à l'opus français. Il y incarne principalement un Tsar amoureux, candide et un peu niais. Sa voix manque toutefois d’homogénéité avec des aigus tendus et des soucis de justesse. Le chant de Jacques de Faber offre de la consistance, le timbre est clair, la voix projetée, l’articulation précise. Le baryton Pieter Hendriks impose sa présence et son excellente diction, quelle que soit la langue. Sa voix large et homogène, au vibrato présent se prête aussi bien au personnage du Tsar « allemand » qu’au personnage moralisateur de Lefort dans la version française. Enfin, Marc Pantus est un aussi convaincu que ridicule bourgmestre ou bien Tsar. Sa voix résonante aux graves profonds permet également d’interpréter (en baryton-basse mais à la façon des "basses russes") les chants empruntés au répertoire populaire à caractère nostalgique. Sa présence physique (taille et regard ténébreux) n'étant certainement pas pour rien dans l'effet provoqué.
Dans un esprit participatif, deux interventions chorales sont chantées depuis la salle par une partie du chœur de Dinard. Même si le public semble content de sa soirée, les applaudissements restent mitigés et sans rappels.