Don Giovanni à Rouen, la confrontation des mondes et des temps
C’est une répétition générale un peu particulière qui avait lieu ce mercredi soir. D’abord parce que la distribution a été lourdement touchée par des problèmes de santé, tout au long des répétitions. Ce soir-là, encore, deux chanteuses étaient aphones tandis qu’au moins deux autres interprètes étaient contraints de s’économiser. « C’est la première fois que je me retrouve dans une situation où je n’ai jamais eu tous mes chanteurs disponibles en même temps pour travailler », nous confie le Directeur de l’Opéra et metteur en scène, Frédéric Roels. Particulière, ensuite, parce que la pression reposant sur les artistes est forte : il s’agit là de la production phare de la saison de l’Opéra de Rouen, impliquant sa direction, et destinée à voyager à Versailles début mars. A deux jours de la Première, la tension est à son comble et l’ambiance est électrique.
Don Giovanni sur la scène de l'Opéra de Rouen © FCarnuccini
Le rideau s’ouvre d’emblée sur un magnifique décor signé Bruno de Lavenère : trois bâtisses croulantes et murées, des meubles épars de style ancien, comme jetés des fenêtres, une cabine téléphonique placée sous un arbre dont les racines abîment un parquet ancien. La mise en scène interroge la temporalité et la géographie de l’œuvre. Impossible de dire si l’action se situe en intérieur ou en extérieur, à Séville (comme le mythe originel), en Italie (comme le laissent penser certains costumes) ou en France, au Moyen-âge, à la Renaissance ou de nos jours. Le monde des morts se mélange également à celui des vivants. Le mythe est intemporel et universel. « Jamais Da Ponte ne précise où l’action se situe : les seuls indications concernent des situations racontées par les personnages », relève Frédéric Roels. Cette indéfinition se répercute dans les costumes : « Don Giovanni et Leporello sont habillés de noir, et correspondent au monde la nuit. Les costumes de Don Octavio et Donna Anna sont marqués par leur appartenance à l’aristocratie. Ceux de Zerlina et Masetto, au contraire, sont blancs : ils se marient et apparaissent au matin. Enfin, Donna Elvira a une tenue plus contemporaine, recouverte d’une cape de pluie, comme pour se protéger de ses propres larmes ». La mise en scène apparaît finalement cohérente de bout en bout, utilisant à merveille l’espace et le décor unique. La direction d’acteurs est également aboutie et la musique est bien mise en valeur (à ce titre, l’idée de positionner deux orchestres sur scène lors du final de l’acte I est ingénieuse, mettant l’action en relief tout en servant la musicalité des ensembles, participant à un final d’acte particulièrement réussi). Les seuls bémols concernent le traitement de Donna Anna, qui apparaît ici résolument consentante, et non abusée, attirant presque elle-même Don Giovanni dans ses appartements durant l’introduction ; et celui du Commandeur dont la première apparition est apparue scéniquement bancale, à deux jours de la Première, la faute peut être à un costume et une mort trop caricaturaux. Le personnage parvient cependant à se montrer bien plus crédible dans la scène finale de l’opéra.
La distribution, bien qu’affaiblie par des soucis de santé, est tout à fait convaincante, à commencer par David Bizic, qui interprète le rôle-titre. Vocalement, le baryton apparaît agile, puissant et nuancé. Sa voix de bronze charme ses proies, et le public. Scéniquement, il est juste, usant d’un sourire enjôleur mais maléfique, droit dans ses bottes malgré sa duplicité lors des finales dans lesquelles il affronte ses victimes. Il ne lui manque finalement que le grain de folie qui rend l’interprétation d’un Peter Mattei magistrale. Jean Teitgen, interprète de Leporello, était l’homme en forme de la soirée. Incroyablement puissant mais également capable d’une grande subtilité, projetant admirablement sa voix ample et suave, se glissant à merveille dans le costume de son personnage, il fait sensation. Le duo masculin est ainsi particulièrement crédible.
Don Ottavio est interprété par le ténor Marcel d’Entremont, qui alterne les registres d’une voix bien placée. Son « Dalla sua pace » est élégant et l’on regrettera simplement une certaine inhibition qui l’empêche de déployer pleinement son jeu. Face à lui, Brigitte Christensen, aphone, était vocalement remplacée à l’avant-scène par Inger Dam-Jensen, dont les vocalises furent acclamées. Donna Elvira bénéficie de l’interprétation et d’un vibrato parfait d’Anna Grevelius, parfaite épine dans le pied du Grand Séducteur, qui dût s’économiser vocalement lors de cette répétition.
Laura Nicorescu (Zerlina) et Matthew Durkan (Masetto) © FCarnuccini
Laura Nicorescu, interprète de Zerlina et autre grande malade de la soirée, aura réussi l’exploit de charmer le public en ne chantant qu’à mi-voix, laissant entrevoir une voix limpide dont s’échappe des vocalises d’une grande fluidité, ainsi qu’un jeu convaincant s’appuyant sur une prononciation irréprochable. Matthew Durkan, qui s’est également économisé, campe un Masetto balourd à souhait, mais attachant. Le Commandeur de Patrick Bolleire bénéficie d’une grande puissance vocale mais nous regrettons un timbre vocal clair, pas assez adapté à notre goût à ce personnage revenant des enfers.
Leo Hussain manie la baguette avec aplomb, variant les ambiances musicales et modulant la puissance orchestrale selon l’état de forme des chanteurs en présence. Ses changements de tempi insufflent un souffle de vitalité, qui se combine parfaitement, par exemple à l’explosion orchestrale accompagnant l’entrée du Commandeur lors du final de l’opéra. Le plus dur est à présent devant cette jolie troupe : convaincre le public, dès ce soir et jusqu’au 20 mars (à Rouen puis Versailles).
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