Pour ma voix quel destin ! La Fille du Régiment à Londres
Cette mise en scène, avec Javier Camarena et tous ses contre-uts, poursuivent leur long voyage international, à Londres. La scénographie et les aigus du chanteur sont précédés par leurs échos et réputation, le public se réjouissant visiblement par avance de leur limpidité et de leur éclat, de l'articulation du message, de leurs lignes et couleurs communes, le décor répondant aux ornements, aux dimensions, aux dynamiques, aux successions de vallons et de collines.
Les rappels au Royal Opera House sont rares, pourtant -comme au Metropolitan de New York en mars dernier- le public londonien interrompt la représentation pour redemander "Ah ! mes amis" et tous ses contre-uts. S'ensuit un échange qui semble improvisé entre le chanteur et le chef (comme ce qui se faisait au XIXe siècle) pour décider de bisser. Certes, après la série de bis "systématique" offerte à chaque représentation de New York, il en deviendrait presque paradoxalement souhaitable que le chanteur en privât le public londonien un soir, afin de conserver le caractère exceptionnel de cet "encore".
Sabine Devieilhe prend le rôle de Marie, objet de l'affection de Tonio, en investissant beaucoup dans le spectacle, ancrant à la fois sa voix et du sentiment dans une production qui recourt allègrement à la farce. Ses deux air mélancoliques ("Par le rang et par l'opulence" avec violoncelle obligé et "Il faut partir" avec cor anglais) offrent des phrasés liquides, fondants, mais si ses pianissimi sont exquis, la voix est couverte par les ensembles -surtout avec le ténor. Cependant, actrice, elle maintient vivante la prosodie des dialogues (a fortiori face à un plateau d'interprètes extrêmement statiques et dont le français demeure pour la plupart incompréhensible).
Enkelejda Shkoza distille le mélange d'élégance fanée et de puissance comique aiguisée dans son interprétation de la Marquise de Berkenfield. La voix est mature, colorée, sombre. Malgré son français médiocre, le jeu comique est investi dès les premières scènes avec son intendant Hortensius (habilement interprété par le vétéran Donald Maxwell, perpétuant dans le registre basse la tradition d'inviter des artistes d'expérience à Covent Garden). L'autre rôle comique pivot est Sulpice, chanté par Pietro Spagnoli avec l'amplitude basse que la pièce exige. En vue (et en ouïe) dans tous les ensembles, il assume les aspects bouffons de l'œuvre avec un registre grave et chaud, fort généreux. En appréciable contraste, Bryan Secombe donne une basse pleine d'esprit pour le rôle du Caporal.
La production de Pelly résiste au temps et continue de subvertir une partie du militarisme (épisodique dans le livret), d'autant qu'il permet de déployer toute la minutie et le rythme des chorégraphies réservées au chœur -la marque de fabrique de Pelly- passant de la paysannerie, à l'armée, et à l'aristocratie avec verve et conviction. La direction d'Evelino Pidò privilégie le récit et l'accompagnement sensible des ritournelles au côté étincelant mais avec une baguette toujours sûre.