Les Nuits d’été de Berlioz dans le jardin d’hiver (à la française) du Teatro Colón
L’Orchestre Philharmonique de la capitale argentine est
ici
dirigé
par Manuel Hernández-Silva,
chef vénézuélien invité remplaçant le Français Lionel Bringuier (appelé à aider l'Opéra de sa ville natale de Nice, qui cherche encore sa direction) initialement prévu pour l’exécution d’un ambitieux programme en
deux volets. La première partie s’ouvre sur Ma
Mère l’Oye
de Maurice Ravel. Ces courtes pièces sont inspirées des fameux
contes homonymes de Perrault mais aussi du Serpentin
vert
de Madame d’Aulnoy et de La
Belle et la Bête
de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont. Les Nuits d’été
de Berlioz complètent, dans le cadre du 150e
anniversaire de la mort du
compositeur,
ce programme de musique française avec la participation, comme
soliste, de la mezzo-soprano irlandaise Tara Erraught
qui entonne les vers romantiques signés Théophile Gautier. La
deuxième partie du concert est consacrée à la Symphonie n°2 en Do
majeur de Robert Schumann. C’est surtout la première
partie de ce concert, dédiée à la musique française, qui retient
l’attention du
public local
tant les œuvres de Ravel et de Berlioz présentées pour l’occasion
sont très peu programmées dans cette région du monde.
Les cinq pièces composant Ma Mère l’Oye, dans leur version symphonique, offrent un délicat panorama cotonneux et ouaté de ce jardin à la française qui s’annonce riche en couleurs et en nuances, et que l’orchestre de Buenos Aires parvient à transmettre sous les coups de la baguette, parfois magique, de Manuel Hernández-Silva, très inspiré et précis dans sa direction. La langueur de la Pavane de la Belle au bois dormant (I) ouvre cette promenade : c’est tout un univers féérique dont le public se délecte tant s’y reconnaît la signature de Ravel dans les caractéristiques de son orchestration, mises en valeur par le chef invité. La gestion des volumes et des tempi est particulièrement surveillée (III, Laideronnette), Manuel Hernández-Silva restant très attentif à l’exécution de ses indications gestuelles, souples et précises. Le fondu enchaîné de la harpe, du triangle puis des violons dans Les Entretiens de la Belle et de la Bête (IV) est un bel exemple de coordination pour faire émerger cette impression de merveilleux qui est le trait d’union esthétique de Ma Mère l’Oye et qui trouve dans Le Jardin féérique (V) une conclusion enchanteresse.
La promenade dans ce jardin à la française se poursuit moins sous l’angle de sensations oniriques que par les allées plus étroites et tortueuses de la pérégrination amoureuse. La Villanelle (I) qui ouvre les mélodies de Berlioz, comme son titre l’indique, est d’une teneur bucolique et pastorale que la voix de mezzo-soprano de Tara Erraught rend avec clarté, fraîcheur et élégance. Le timbre est onctueux, argenté et clair dans ses reliefs. L’articulation est correcte, mais certaines syllabes sont parfois moins audibles que d’autres. Le Spectre de la rose (II) contraste avec l’allégresse printanière qui le précédait. Les aigus, plus tendus, sont projetés sans difficulté tandis que la voix se fait l’écho, dans les registres intermédiaires, d’une broderie fine et élégante (« Ce léger parfum est mon âme »). Le soutien maîtrisé de l’orchestre met en valeur, sans les étouffer, les merveilleux pianissimi des derniers vers de Gautier : « Ci-gît une rose / Que tous les rois vont jalouser. » La gestuelle des mains de Tara Erraught s’anime Sur les lagunes (III) et sert le chant de la complainte sous l’angle dramatique. Le phrasé peut faire preuve de puissance et d’amplitude sur la première syllabe accentuée, « Ah ! sans amour, s'en aller sur la mer ! ». La pureté du timbre, une émission saine ainsi que la délicatesse de la posture corporelle, mains jointes, mettent en valeur l’Absence (IV) décriée par la chanteuse. Au Cimetière (V) est l’occasion de voir le texte s’entremêler avec la mélodie, cette pièce évoquant elle-même une chanson « sur les ailes de la musique », tandis que les nuances chatoyantes de l’orchestre, sous les instructions de son chef, ménage des effets en écho à ceux des vers. Tara Erraught semble prendre de l’assurance et s’investit davantage dans son jeu corporel sur L’Île inconnue (VI). Le chant est assurément bien servi par une diction ouverte qui respecte les règles de prosodie chantée (vocalisation des liaisons et des « -e » muets à prononcer dans ce contexte).
La
deuxième partie du concert ouvre à ce jardin à la française un
nouvel horizon d’outre-Rhin :
l’exécution de la Symphonie n°2 de Schumann renforce encore une
impression qui s’est établie jusque-là. La Orquesta Filarmónica de Buenos Aires répond à la lettre à toutes les sollicitations de
Manuel
Hernández-Silva
et leur assure de chaleureux applaudissements.