Récital Desandre et Dunford à Aix : casser les co(r)des
L'Hotel Maynier d'Oppède qui accueille ce récital est celui-là même où le compositeur André Jolivet, à la fin des années 1950, a fondé et réuni pendant plusieurs étés aixois son Centre Français d’Humanisme Musical, dédié à la recherche d’une « permanence caractérielle de la musique française depuis mille ans ». Après le temps des questions, l'expérience musicale concrète et vivante avec Desandre et Dunford par leur programme intitulé « À boire et à rêver : l’air aux multiples visages ». Ces visages sont ceux de différentes formes musicales, à travers vingt opus : airs de cour (Lambert, Charpentier, Couperin, Marais), danses instrumentales (Robert de Visée) et mélodies françaises (Fauré, Hahn, Debussy, Messager). Une même expressivité les traverse, liée à la fluidité de la langue française et de ses accents, qu’aucune barre de mesure ne semble pouvoir contenir.
Ce côté singulier du programme et de son articulation est également présent dans la proposition de la mezzo-soprano et de son compagnon-accompagnateur, par le contact intime qu’ils installent, musicalement et humainement, avec leur auditoire. L’exercice quotidien et répété de cette musique à deux, à entendre l’exacte complicité de leur prestation, à observer leurs regards mutuels, se poursuit naturellement sur scène, moment privilégié de partage avec le public.
Quand la chaleur provoque la rupture répétée d’une corde, le dévissage d’une clé, d’un instrument particulièrement fragile (c’est pourquoi on appelle luthier l’artisan qui fabrique tous les instruments à corde explique Lea Desandre), les artistes s’emparent de l'incident pour échanger avec le public, raconter des anecdotes, réciter les paroles des airs à la demande d’une personne du public. La diction de Lea Desandre, qui dès lors malicieusement s’interroge sur ses capacités et se demande si elle ne devrait pas reprendre des cours de chant, est pourtant claire. Mais la langue française est, dans ce répertoire, bien stylisée, et chaque mot, soigneusement chantourné. La mezzo-soprano dénoue souplement sa longue tresse vocale, finement ornementée. Le grave est dramatique, le medium moelleux et ourlé d’un vibrato ressourcé, les aigus épanouis et lumineux.
Thomas Dunford, luthiste virtuose, fondateur et Directeur artistique de l’ensemble baroque Jupiter, l’accompagne, à vue comme à oreille, avec des doigts subtilement mobiles et obéissant à tous les modes de jeu, de l’attaque la plus perlée jusqu’au riff (motif rythmique) de guitare. Les artistes et leurs instruments se font caméléons : Thomas Dunford raconte que Louis XIV était toujours accompagné de son luthiste, qui était une sorte de « juke box ambulant ». Deux bis comblent une soirée presque privée : Ombra mai fu, de Haendel (Serse), avec ses longues notes tenues progressivement voisées (vers le souffle), en hommage à l'ombre du grand platane qui fait face à la scène, puis Dis, quand reviendras-tu ? avec ses longs silences précédant le retour très progressif du refrain.
Le fil secret et intime reliant les œuvres au programme se révèle à l'écoute attentive du public, visiblement comblé.