Les Folies d’O accueillent les Folies d’Offenbach !
Ce spectacle mêle La Vie Parisienne, Les Contes d’Hoffmann, Les Brigands, La Belle Hélène, La Grande-Duchesse de Gérolstein, La Périchole et Le Voyage dans la Lune, toutefois il ne s’agit pas d’un
pastiche (opéra composite formé d’extraits de différentes œuvres
sur un nouveau texte), tel que Don White en conçut un avec son
Christopher Columbus sur des musiques d’Offenbach, gravé
chez Opera Rara en 1977.
Ici, musique et texte originaux sont respectés. Devant l’impossibilité d’écrire une intrigue qui inclurait naturellement un général, des dieux de l’Antiquité, une courtisane vénitienne ou des Espagnols patriotes, Marion Guerrero prend le parti très sage de privilégier les situations à une véritable action. Tout se passe dans une piscine (sur le choix de ce cadre, voir l'interview de la metteuse en scène en blog Ôlyrix) : la scène représente les vestiaires, les douches et le guichet, la fosse d’orchestre étant le bassin. Toutes les pages d’Offenbach sont ainsi recontextualisées pour prendre place naturellement (ou de façon absurde !) dans les « Bains Jupin » : le général Boum est quelque peu estropié à force d’avoir « exterminé les bataillons » et a bien besoin de séances d’aquagym ou de massages pour retrouver de sa superbe, la poupée Olympia est le mannequin utilisé par le maître-nageur pour sa démonstration de secourisme : elle s’anime lorsque ledit maître-nageur commence à lui insuffler de l’air par la bouche, le cancan d’Orphée consiste en une irrésistible séance de natation synchronisée ! Tout cela est léger, déjanté, parfois joyeusement absurde, dénué de vulgarité, bref, offenbachien en diable.
Jérôme Pillement (créateur des Folies d’O et chef d’orchestre) connaît son Offenbach sur le bout des doigts et il bâtit, en accord avec Marion Guerrero, un programme faisant alterner des pages célèbres (la Barcarolle, l’air d’entrée de la Grande-Duchesse) avec d’autres plus rarement entendues (le ballet du Voyage dans la lune, le trio de l’orage de Geneviève de Brabant, le duo espagnol des Brigands). L’Orchestre national Montpellier Occitanie, sous sa baguette, allie vivacité, légèreté et tendresse, toutes trois qualités indispensables à ce répertoire. Les chœurs de l’opéra de Montpellier participent au projet avec une joie non dissimulée, mais aussi toute leur rigueur et leur musicalité.
Les acteurs Élodie Buisson (une guichetière à l’abattage constant) et Julien Bodet (qui joue des muscles et de l’absurde avec maestria) font très régulièrement éclater de rire le public. Quant aux solistes, ils forment une équipe dont la complicité se révèle à chaque instant. Charles Alves da Cruz incarne l’austère directeur de la piscine, mais intervient également vocalement, notamment dans le trio de la conspiration de La Grande-Duchesse, auquel il prête son humour avec une voix de ténor claire et assurée. Loïc Félix, même s’il étête un peu les aigus du duo des Brigands (« Y a des gens qui se disent espagnols ! »), déploie une voix projetée avec naturel et il est toujours aussi clair de diction, mais il est surtout marquant dans la « légende de Kleinzach » chantée avec aisance (au point qu’on regrette que la section « Ah, sa figure était charmante… » en ait été coupée : le rôle d’Hoffmann n’est certes pas écrit pour un ténor léger, mais sans doute Loïc Félix aurait-il pu venir à bout de ce seul air, y compris dans son envolée lyrique médiane). Armando Noguera confirme une vis comica qu’il avait déjà révélée en Figaro. Son aisance scénique, ses mimiques, sa façon de dire son texte sont irrésistibles de drôlerie, et son chant percutant, porté par un timbre clair et assorti d’une diction limpide, ne l’est pas moins.
Mélanie Boisvert égraine avec facilité les vocalises d’Olympia dans des positions incongrues (sur le dos, jambes relevées). Son chant pourrait être cependant plus désincarné (son léger vibrato dans l’aigu la rend un peu plus femme que poupée), et l'aigu final est juste esquissé. Son Olympia, en tout cas, amuse et conquiert le public, même si sa prestation dans l’air des baisers de Cupidon, distillé avec gourmandise et espièglerie, est encore supérieure. Quant à Antoinette Dennefeld, sa voix, égale sur toute la tessiture, sa technique sans faille et sa diction limpide en font une interprète plus que précieuse dans ce répertoire. Son invocation à Vénus offre un modèle de musicalité et de phrasé.
Les spectateurs quittent le théâtre avec un sourire qui ne semble pas près de s’effacer !