Le Requiem de Mozart par Castellucci ouvre le Festival d’Aix-en-Provence : l’inspiration du repos
Le Requiem, Messe des morts, n’a pas été conçu pour être mis en scène et il n’a pas d’intrigue à proprement parler. La vision qu’en propose Romeo Castellucci navigue entre opéra-ballet et tragi-comédie en musique. Le rideau noir s’ouvre sur le décor réaliste d’une chambre d’agonie, sonorisée par une polyphonie radiophonique. Une vieille femme y fume, y gît, s’y consume et devient cendre. Elle traînera avec elle, au fur et à mesure de l’avancée dans l’âge et dans la soirée, ses cinq avatars, de plus en plus jeunes, jusqu’au nourrisson : le compte à rebours a commencé.
La lecture du matériau musical a le souci de la beauté, jusqu'à la salissure, toujours pigmentée de tons intensément électriques, sur fond noir et/ou blanc. Le cadavre est toujours exquis. Le profane se montre le revers du sacré, comme la vieillesse et la jeunesse, la lumière et les ténèbres, l’imagerie antiquisante et les images modernes. Le spectacle se déroule ainsi sur ces dualités mais également en suivant le fil d’un générique de fin permanent : déroulant les extinctions des espèces, des langues, des peuples… jusqu’à l’extinction des feux de la rampe.
Le corps des protagonistes (chanteurs, danseurs et figurants) est constamment sollicité, corps animal, enfantin, paré, dénudé, gisant, dansant. Il est le matériau plastique le plus à l’unisson de la musique. Le quatuor vocal est lumineux, dense et retenu. Le fondu enchaîné des timbres est stupéfiant. De rares moments de ferveur solitaire mettent en lumière les couleurs caractérisées des chanteurs. Le timbre angélique, au moiré ambigu, de la soprano Siobhan Stagg s’établit en délicatesse et en force. Elle s'appuie sur un médium solide pour monter vers les cimes. S’y oppose la voix projetée et enténébrée de la basse Luca Tittoto (ancien artiste de l’académie). Son Tuba mirum libère une énergie effrayante construite par un coffre très solide. Vient s’aimanter à son eau noire, l’alto discret ou gainé de Sara Mingardo avec ses accents mystérieux. Le ténor Martin Mitterrutzner étend ses lignes dans les interstices de l’harmonie vocale et s’y acclimate, avec une touchante et heureuse humilité. Un très jeune chanteur (Chadi Lazreq), issu de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, vient apporter sa part d'humanité fragile, avec un art déjà installé du vibrato.
Le chef Raphaël Pichon fait surgir de la fosse, au commencement, la monodie écorchée des instruments d’époque. Le geste est prescripteur, cérémoniel, ce qui sied pleinement à son rôle (d'autant qu'il ajoute à cette partition d'autres musiques sacrées) : en l’absence d’intrigue dans ce Requiem pourtant mis en scène, il est un maître de cérémonie funéraire mais à l’énergie pulsée communicative, doucement canalisée par les timbres feutrés ou crus de l’instrumentarium baroque (bassons, cors de basset, timbales). Le chœur s’y associe en contrepoint collectif limpide, tenant le rythme et le choc de la danse.
Le public accueille cette proposition par des applaudissements denses et prolongés, à l’image de ce spectacle et du temps nécessaire pour en apprécier l’expérience.
Réservez ici vos places pour ce Requiem, le Festival d'Aix-en-Provence et les Chorégies d'Orange
Rendez-vous le 8 juillet au soir pour la retransmission radio et le 10 pour la vidéo intégrale.