Partout des maris vengeurs : Les Noces de Figaro au Royal Opera House de Londres
La sixième reprise de cette production est une nouvelle occasion rafraîchissante d’apprécier une vision sensuelle s’imprimant sur les "idéaux révolutionnaires" de Beaumarchais. Le mérite en revient sans doute en grande partie au baryton allemand Christian Gerhaher dont le Figaro joué sans caricature est plus réfléchi, plus rationnel et sans doute un peu moins buffo, tandis que son chant a l’ampleur de celui qui chanta entre autres dans Tannhäuser in loco en 2010 et Parsifal à Munich. Le revers de cette puissante médaille est certes un manque de contrôle dans l’agilité mozartienne, mais l’investissement de l’espace acoustique et dramatique décuple la fougue de Figaro pour clamer les droits de l'homme.
Joélle Harvey en Susanna est vive, brillante en récitatif et en ensemble, notamment soutenus et contrepointés avec Figaro. Ayant déjà chanté le rôle à Pittsburgh, elle offre une interprétation réfléchie avec une voix cohérente dans tous les registres et un véritable éclat au sommet. Julia Kleiter en Comtesse -un rôle marqué par une tendresse retenue selon Beaumarchais- suspend l’action par son "Porgi, amor". Elle donne une lecture, une incarnation et une ligne vocale à la dignité aristocratique (ce qui demeure difficile dans le contexte de chaos dramatique qui l'entoure si souvent).
Simon Keenlyside en Comte apporte la touche de comédie plus vaudevillesque mais avec grâce et affabilité. C’est musicalement que lui sont données les occasions de montrer ses lettres de noblesse, Keenlyside offrant toute la gravitas seria dans ses airs, récitatifs et jusqu’à l’allegro assai final avec ses triolets agiles et sensibles.
Yaritza Véliz fait en Barbarina ses débuts à Covent Garden, un beau rôle pour cette entrée en matière avec une petite partie et un sextuor d'échauffement puis le délicieux "L'ho perduta, me meschina!" La voix s’y présente déjà avec douceur et précision, de bon augure pour sa Papagena la saison prochaine.
À l’inverse et toujours dans la tradition à Covent Garden de s'assurer que les augustes vedettes fassent profiter les plateaux de leur très grande expérience (après la Comtesse de Coigny par Rosalind Plowright dans Andrea Chénier le mois dernier), c'est un autre coup de théâtre que d’inviter la superbe Diana Montague (qui a interprété Cherubino dans les années 70) comme Marcelina. L’intelligence et l’élégance musicale s’y déploient notamment en duo avec Susanna. Bartolo est joué par Maurizio Muraro avec le juste degré d'obséquiosité et de ruse que demandent les numéros tels que "La vendetta". Jean-Paul Fouchécourt offre à Basilio son ténor léger, qui lui donne une élégance gauloise. Les petits rôles d'Antonio et de Don Curzio sont interprétés avec goût par Jeremy White et Alasdair Elliot, tandis que les deux demoiselles d'honneur forment un duo élégant de débutantes (Rebecca Hardwick et Angharad Rowlands).
Kangmin Justin Kim a déjà tenu le rôle de Cherubino, mais il s’agit d’une petite révolution pour le ROH : la première fois que le rôle y est interprété par une voix masculine. Ce fut certes déjà le cas en d’autres théâtres mais ce point cristallise les discussions du public en ce soir de première. Les spectateurs ayant fait l'expérience récente d’entendre le contre-ténor dans Giulio Cesare par le même McVicar à Glyndebourne, y retrouvent une aura comique du milieu du XVIIIe siècle qui semble entrer en conflit avec les autres rôles. Sa voix a une qualité légèrement atténuée qui semble fonctionner davantage pour l'opéra baroque, elle est néanmoins agile et propose des sons attrayants sur toute la gamme.
Le public semble également apprécier la direction de John Eliot Gardiner, malgré quelques tempi erratiques au fil de la partition (après une ouverture à la vitesse record) qui viennent même gêner parfois les cohésions instrumentales. Heureusement, le chœur apporte sa grande confiance à l’ensemble, notamment lors des finales.
La production de McVicar se porte bien entre les mains de Thomas Guthrie qui en assure la reprise. Les décors et changements de scène émerveillent l’assistance, avec de surcroît une lumière fluide, en harmonie avec la finesse unissant les paroles du livret avec la partition mozartienne.
Rendez-vous sur cette page à partir du 9 juillet à 20h pour la vidéo intégrale