Sauvons la caisse & Faust et Marguerite : voies de saltimbanques au Théâtre Marigny
Au
lendemain du jour
bicentenaire
de Jacques Offenbach (le compositeur est né le 20 juin 1819),
l’opérette est célébrée avec enthousiasme au Théâtre Marigny.
Le
clap
de fin d’une saison festivalière
portée
par le
Palazzetto Bru Zane depuis le mois de janvier à raison d’un week-end par mois
et où sont redécouverts Le Compositeur toqué et
Le Retour d’Ulysse d’Hervé, Les
deux aveugles d’Offenbach,
On demande une femme de chambre de Robert Planquette et Chanteuse par amour de Paul Henrion. Pour le
dernier rendez-vous, c’est à la figure de l’artiste saltimbanque
que sont dédiés les deux ouvrages au programme. D’un côté,
Sauvons
la caisse
de Charles Lecocq, où Cruchinet, domestique d’un milliardaire
russe nommé Tropouridchick, subtilise la grosse caisse de la
Fille
de l’air (dompteuse de cirque armée d’une cravache) dont il est
épris pour l’attirer chez son maître en son absence. D’un autre
côté, Faust
et Marguerite
raconte l’histoire du couple Lehuchoir, s’apprêtant à monter
sur une scène de Fouilly-les-Mouches pour y interpréter le duo
faustien. Comique de situation, quiproquos, jeux de mots plus ou
moins grivois, rupture du quatrième mur et mises en abyme rythment
ces deux œuvres dont le format est
court
(environ 1h en tout) et
dynamique.
Après Le Compositeur toqué d’Hervé et Les deux aveugles d’Offenbach, Lola Kirchner signe une nouvelle fois la mise en scène des deux opus au programme. L’installation prévue pour les deux ouvrages est minimaliste et se réduit aux accessoires les plus signifiants, souvent l’objet de détournements. La grosse caisse, objet de toutes les attentions lors de la première opérette, se trouve de nouveau exploitée dans Faust et Marguerite par un chanteur soucieux de donner prestance à son air, à défaut d’avoir toujours ses bretelles. Le petit rideau rouge permet à Cruchinet d’épier celle dont il est épris et de sortir de scène pour se déguiser en son maître (et revenir en tant qu’acteur, vêtu du masque du personnage qu’il incarne). Il devient par la suite le véritable rideau de scène du spectacle manqué par le duo de chanteurs, dont les préparatifs sont dévoilés aux spectateurs. Les balais et plumeaux présents sur le chariot de nettoyage (indiquant la qualité de Cruchinet dans Sauvons la caisse) deviennent des accessoires (des perruques pour l’accordéoniste). Le vestiaire apparent au début du second ouvrage permet de faire transition entre les deux opus, le duo quittant face public les habits de Cruchinet-Fille de l’air pour devenir Faust et Marguerite, situation de mise en abyme totale, étant entendu que le couple se prépare lui-même à chanter sur scène et que l’opérette se réduit à ces préparatifs riches en rebondissements.
Face à des histoires très courtes, dont l’enjeu narratif est circonscrit, la dynamique du spectacle tient en grande partie au jeu survolté du duo Flannan Obé-Lara Neumann, qui forme une paire des plus appliquées au service de ce répertoire. Le jeu est assumé dans l’extravagance, aussi bien dans les parties parlées que chantées, qui montrent toutes deux une diction fine. De cela découle une justesse dans l’intonation jusqu’aux passages les plus surréalistes. En Cruchinet, Flannan Obé incarne délicieusement l’amoureux transi en proie aux passions et aux contradictions les plus vives. Le jeu est tout en exubérance, la gestuelle et les mimiques débridées. Cela donne à son personnage une part attachante, notamment lorsqu’il se met à embrasser la grosse caisse qu’il assimile à son aimée, tout en s’appuyant sur un texte drolatique. Le chant n’est pas négligé pour autant, jusque dans l’imitation du russe Tropouridchick avec ses « r » roulés à vau-l'eau.
Lara Neumann campe une Fille de l’air hargneuse et dominatrice, armée d’une cravache et prête à tout pour retrouver sa grosse caisse. Déterminée, la voix gaillarde, elle incarne le personnage de l’écuyère du cirque sans faiblir, et déploie toute sa malice. En Marguerite, elle se montre lassée de son compagnon comme de sa situation, ce qu’elle incarne dans le chant avec une cavatine des bijoux en tocs achevée face à son miroir, se curant les dents et élançant d’ultimes octaves mécaniquement en attendant les ultimes accords de l’accordéon. Si l’entrain paraît volontairement minime dans le rôle, il est bien accentué dans une voix empreinte d’une théâtralité affirmée.
À l’accordéon (pour lequel il transcrit l’accompagnement instrumental), vêtu d’une queue-de-pie et assis sur une chaise de bureau, Pierre Cussac est le troisième personnage (implicite) de ce spectacle. Chaque interaction avec les deux chanteurs-acteurs confirme une complicité appréciée (les musiciens las de cadences jugées interminables, les reprises non souhaitées d’un motif obligeant le chanteur à reprendre quelques pas de danse). Le timbre de l’instrument, l’exploitation de sa tessiture comme les effets permis par le soufflant en font un accompagnement dramatique et pleinement dans l’esprit des deux ouvrages.
Une fin de saison applaudie pour les Bouffes de Bru Zane au Théâtre Marigny qui réussit le pari de remettre à l’ordre du jour de courtes opérettes oubliées et de susciter l’engouement du public venu nombreux en ce soir de Fête de la Musique.