Madame Favart a les faveurs de la salle du Comique
En 1878, un mois après la création de Maître Péronilla (récemment proposé par le TCE et le Palazztto Bru Zane), deux ans avant sa mort suivie de peu par la création des Contes d’Hoffmann, Offenbach présente Madame Favart sur un livret d’Henri Chivot et Alfred Duru. Malgré leur concomitance, ces trois œuvres s’avèrent profondément différentes les unes des autres. Si la musique de Madame Favart est riche et enlevée avec des airs et ensembles dignes du génie d’Offenbach, le livret n’a pas la profondeur des Contes ni la folie douce de Péronilla. Après un premier acte introductif traînant en longueur, et avant un troisième acte conclusif notamment marqué par un amusant duo tyrolien, les travestissements et les quiproquos s’enchaînent à un rythme élevé dans le second acte, le plus captivant.
C’est d’ailleurs sur cet acte également que la mise en scène d’Anne Kessler est la plus inspirée. Sociétaire de la Comédie-Française, elle met le théâtre au centre de son travail, ce qui tombe bien car les solistes distribués excellent dans ce domaine (même s’ils savonnent certains passages en ce soir de Première). Elle replace l’intrigue dans un atelier de confection de costumes, décrit dans le programme comme celui de l’Opéra Comique, les aventures et mésaventures de Charles-Simon Favart (qui donna son nom à la salle de l’Opéra Comique) et de sa femme, étant vues par les yeux d’un enfant jouant dans les lieux.
Les artistes de la Nouvelle troupe de l’Opéra Comique, créée par le Directeur Olivier Mantei sont sollicités dans cette production. Le rôle-titre est tenu par Marion Lebègue, dont le personnage, comédienne de son état, se travestit à plusieurs reprises. La chanteuse caractérise chacune de ces incarnations, avec nuance et musicalité. Son aigu est plein et vibrant, ses graves, aux extrêmes de contralto, sont charnus et voluptueux. Anne-Catherine Gillet est une Suzanne piquante et au jeu distingué, à l’engagement complet (elle gratifie le public d’un impressionnant grand écart), au timbre pur, à la voix fine mais puissamment projetée, et aux aigus éclatants. Le vibrato, extrêmement maîtrisé est dense, rapide et léger.
François Rougier s’amuse dans le rôle d’Hector, auquel il prête une voix au timbre fleuri, au grain chaud, à l’aigu aisé (qui monte haut dans le duo tyrolien). Si le théâtre est finement joué, le chant pourrait gagner en nuances. Christian Helmer prend les traits de Favart. Ses graves sont larges et bien assis, résonnant y compris dans les dialogues parlés, ses aigus plus instables. En accord avec le caractère bon vivant de son personnage, il fait swinger son chant d’une voix claire.
Eric Huchet séduit le public par son incarnation du vil et poudré Marquis de Pontsablé, grâce à ses répliques acérées, ses mimiques et sa diction précises dans les dialogues parlés, mais aussi son timbre doux (parfois teinté d’une légère acidité pour marquer la bêtise de son personnage) et son expressivité dans les passages chantés. Franck Leguérinel campe le Major Cotignac avec son habituelle justesse scénique. Lionel Peintre est Biscotin théâtralement appliqué, adoptant des postures et démarches rappelant Louis de Funès. Quant à Raphaël Brémard, il campe un Sergent Larose gouailleur, à la voix franche, acidulée, au jeu scénique (y compris muet) drôle et enthousiaste.
Laurent Campellone dirige l’Orchestre de chambre de Paris d’une gestique précise et articulée du bout des doigts : les départs sont donnés d’un mouvement à la fois sec et expressif. La musique dansante et malicieuse d’Offenbach, volontiers grave par moments, est ainsi judicieusement servie. Quand au Chœur de l’Opéra de Limoges, il offre un grand volume et une présence scénique dynamique. Il souffre cependant en son sein de quelques décalages rythmiques.
L’équipe artistique et musicale est longuement remerciée pour cette redécouverte -le jour exact du Bicentenaire d'Offenbach- d’une œuvre qui fut l’un des grands succès de son temps (réservez vite vos places).